La pension-mixte et la réforme du Fonds de pension des administrations

La pension-mixte et la réforme du Fonds de pension des administrations

Editeur responsable : Jean-Yves PIRENNE, Place sainte Véronique, 8 – 4000 Liège

1.Contexte

Le pensionné est vu comme une variable d’ajustement budgétaire par le gouvernement Michel. En 2018 et 2019, le Ministre des pensions a été chargé d’économiser 300 millions d’euros dans le budget des pensions. Le résultat est triple : une diminution du montant des pensions, une attaque à la fonction publique et un transfert de charges vers les villes et communes, surtout wallonnes. La future mise en place de la pension mixte est un condensé de cette vision du gouvernement MR-NVA. Le projet de loi a été voté à la Chambre le 29 mars 2018. Il est entré en vigueur le 1er mai 2018.

2.Rappel des concepts

2.1. La pension légale (le premier pilier)

La pension légale est calculée en fonction de la carrière professionnelle. Toute personne qui a travaillé en Belgique a droit à une telle pension, versée par l’Etat. Elle se base sur un mécanisme de répartition, c’est-à-dire que les travailleurs actifs aujourd’hui financent, via leurs cotisations sociales, les pensions des pensionnés d’aujourd’hui. Il introduit donc un principe de solidarité intergénérationnelle.

2.2. La pension complémentaire (le deuxième pilier)

La pension complémentaire professionnelle ou assurance groupe est un avantage extralégal proposé par l’employeur. Elle permet de constituer, auprès d’un organisme financier, un capital ou une rente dont le travailleur disposera à l’âge de la pension. Il s’agit d’une pension privée qui est fondée sur le principe de capitalisation : le travailleur finance lui-même sa propre pension complémentaire. Elle vient s’ajouter à la pension légale, mais ne la remplace pas.

2.3. Le fonctionnaire statutaire (ou nommé)

Un agent « statutaire » n’a pas de contrat de travail individuel mais est soumis au statut spécifique des fonctionnaires. Les conditions de travail sont définies de façon unilatérale par l’entité publique qui l’engage, sans que le collaborateur ait son mot à dire. Mais le statut garantit notamment des conditions intéressantes en matière de pension. Par exemple, un fonctionnaire nommé après 15 ans de carrière comme contractuel, verra sa pension calculée comme s’il avait été nommé dès le début de sa carrière.

2.4. Le fonctionnaire contractuel

Initialement, les contractuels étaient engagés pour des missions bien précises ou pour remplacer des agents statutaires. Comme son nom l’indique, le contractuel est bel et bien lié par un contrat de travail, qui peut être de durée déterminée ou indéterminée. Il s’agit donc d’un engagement entre deux parties. Cette situation ressemble davantage à celle d’un travailleur du secteur privé. Lorsqu’un collaborateur contractuel entre en fonction, il a le même salaire brut qu’un statutaire, mais ses opportunités d’évolution sont plus limitées.

2.5. Le Fonds de pension solidarisé des administrations provinciales et locales

Créé en 2012, le Fonds de pension solidarisé (FPS) permet aux administrations provinciales et locales (APL) de financer les pensions de leur personnel nommé. En principe, toutes les APL, les zones de police, et toute nouvelle administration locale qui occupe des nommés est affiliée au FPS. Le FPS est alimenté uniquement par les cotisations versées par ses affiliés qui se composent d’une cotisation de base (identique pour tous) et, éventuellement d’une cotisation de responsabilisation[1].

3.    Synthèse de la problématique

Le projet du Ministre Bacquelaine instaure deux grandes réformes : l’introduction de la pension mixte pour les contractuels du service public et une solution temporaire aux problèmes de financement et de trésorerie du FPS.

3.1. La pension mixte pour les contractuels de la fonction publique

Actuellement, les contractuels peuvent faire valoir dans le calcul de leur pension publique leurs années prestées en tant que contractuels (avant d’être nommés) au même titre que celles prestées en tant que fonctionnaire nommé. Le projet Bacquelaine vise à mettre un terme à ce droit pour les personnes nommées avant le 1er décembre 2017. Le gouvernement s’attaque à un droit acquis fondamental des fonctionnaires.

Le fonctionnaire aurait alors une pension privée pour ses années prestées comme contractuel (nettement moins intéressante que la pension publique), et une pension publique pour ses années prestées comme agent nommé. 

Cette mesure va engendrer une perte conséquente, dans certains cas 500 € par mois, pour les agents qui ne sont pas nommés dès le début de leur carrière. 

Exemple de perte de pension pour un agent fédéral de niveau C Madame X est née en 1967 et est agent contractuel dans un SPF Fédéral. Sa date de pension la plus proche sera le 1er septembre 2030. Sa pension « salarié » serait de 1485.57 € brut mensuel.   En cas de réussite d’un examen statutaire et une nomination avant le 1er décembre 2017, celle-ci pourrait prétendre à une pension mixte qui serait de 1950 € mensuel brut pour la partie « secteur public » 146 € mensuel brut pour la partie « salarié » Soit : 2096 € mensuel brut.   En cas de réussite d’un examen statutaire et une nomination après le 1er décembre 2017 (nomination au 1er janvier 2018), celle-ci pourrait prétendre à un pension mixte qui serait de : 667 € mensuel brut pour la partie « secteur public » 919 € mensuel brut pour la partie « salarié » Soit : 1586 € mensuel brut.  

Afin de compenser cette perte de pension, le Ministre promet l’instauration d’un second pilier de pension dans la fonction publique et pour ce faire, met notamment en place un incitant pour encourager les pouvoirs locaux à souscrire une pension complémentaire[2] pour leurs agents contractuels.

3.2. Une solution temporaire aux problèmes de financement et de trésorerie du FPS

Le FPS va être confronté à un problème de trésorerie et de financement dès 2018. Entre 2017 et 2023, les pouvoirs locaux belges verraient leur cotisation de responsabilisation passer de 358 millions d’euros à 968 millions d’euros (concerne 161 communes, 73 CPAS, les 5 provinces et 28 intercommunales pour la Wallonie). De son côté, la cotisation de base, qui est fixée à 41,5 % jusqu’en 2020, atteindra 47 % en 2023.

Il est important de savoir que ces cotisations sont jusqu’à présent payées par les pouvoirs locaux en fin d’année N+1 alors que les pensions sont évidemment payées l’année N ce qui pose un problème de trésorerie. Pour y répondre, le projet de loi prévoit la mensualisation et l’anticipation des cotisations (l’objectif est qu’à terme, elles soient payées mensuellement durant l’année N). Cela signifie que, d’année en année, les APL vont devoir assumer une part de plus en plus importante de la cotisation de responsabilisation se rapportant à l’exercice en cours.

Il faut savoir que, contrairement aux employeurs du secteur privé et à toutes les autres administrations relevant des autres régimes de pensions publiques, les APL sont les seules à supporter intégralement la charge des pensions de leurs agents nommés, et ce, sans intervention de l’État fédéral. Le caractère autofinancé des pensions ne permet pas, à terme, d’assurer l’équilibre financier du Fonds de pension ce qui risque de mettre en péril le paiement des pensions des agents nommés et/ou les finances des pouvoirs locaux.

Le projet de loi du Gouvernement fédéral n’élargit pas la base de financement du Fonds et ne répond donc en rien à cette problématique fondamentale.  Tout au plus, en rapatriant vers le Fonds une partie de la cotisation de modération salariale (121 millions d’euros) que les pouvoirs locaux payent pour les pensions de leurs agents nommés, il répare une incohérence en leur permettant de récupérer leur dû.

  • En touchant au financement du FPS, le Gouvernement s’en prend directement à nos communes et menace leur budget et donc leur bon fonctionnement.

4.    Pourquoi le PS s’oppose à ces réformes ?

4.1. Il y aura une perte conséquente,allant jusqu’à 500 euros/mois, pour les agents qui ne sont pas directement nommés

Contrairement à ce que tente de faire croire le Gouvernement, l’instauration d’une pension complémentaire pour les contractuels ne compensera pas cette perte et ce pour trois raisons :

  • Alors que la mesure a un effet rétroactif, la mise en place d’un second de pilier de pension ne vaudra que pour l’avenir.Concrètement, un travailleur qui a, par exemple, déjà presté 10 ans de service comme contractuel ne bénéficiera, pour ces années, ni d’une pension complémentaire, ni d’une pension publique. Parfois, une grande partie de la carrière de ces agents sera donc purement et simplement sacrifiée.
  • Il n’y a aucune garantie que les cotisations versées dans un plan de pension complémentaire seront suffisantes pour compenser la perte subie. En effet, on estime que pour compenser la perte de pension, il faudrait un niveau moyen de financement de la pension complémentaire de 6 %. Or, le Gouvernement fédéral ne prévoit qu’un financement de l’ordre de 3 %.
  • Tous les agents contractuels ne bénéficieront pas d’une pension complémentaire. Ce sera notamment le cas des agents des pouvoirs locaux qui, en difficulté, ne pourront pas se permettre de cotiser dans un plan de pension complémentaire ou encore des agents qui dépendent des services des gouvernements des Communautés et Régions car, comme l’a indiqué dans son avis la section de législation du Conseil d’Etat, les Communautés et Régions ne sont pas compétentes pour mettre en place un second pilier de pension. Selon cet avis, le gouvernement fédéral devrait accorder lui-même un second pilier aux agents des entités fédérées, puisqu’il s’agit d’une pension et que le fédéral est le seul compétent pour cette matière.
  • Cela ne manquera  pas d’entrainer une mise en concurrence entre les différents services publics. Tous les agents n’auront plus la même pension. De plus, les communes déjà en difficulté financière ne pourront pas toutes offrir de second pilier aux contractuels. Il s’agit donc d’une pression financière sur les communes et d’un détricotage de la solidarité.

4.2. L’incitant à mettre en place un second pilier favorise les pouvoirs locaux flamands

Le Gouvernement prévoit la mise en place d’un incitant pour favoriser les communes qui ont mis/mettent en place un second pilier de pensions. L’incitant réduit de 50 % la cotisation de responsabilisation des APL responsabilisées. Dans un système uniquement financé par les cotisations de ses participants, si un participant paie moins, alors les autres devront payer plus pour compenser.

Les projections démontrent que cet incitant favorise clairement les pouvoirs locaux flamands, qui disposent déjà pour la majorité d’un second pilier et augmente la facture des pouvoirs locaux wallons et bruxellois qui ne pourront pas se permettre de mettre en place une pension complémentaire.

Les incitants des uns sont donc financés par le surcoût payé par les autres. Le SPF estime que l’introduction de l’incitant entraînerait pour la période 2017 – 2022 :

  • un bonus cumulé pour les PL flamands de 44,7 millions d’euros
  • un malus cumulé pour les PL wallons de 35,5 millions d’euros
  • un malus cumulé pour les PL bruxellois de 9,2 millions d’euros.
  •  Il s’agit d’une véritable mesure pro-flamande qui est mise en place avec la complicité du MR.

4.3. Aucune solution structurelle prévue : pas de financement alternatif

La charge des pensions va augmenter pour les pouvoirs locaux et essentiellement les grandes villes wallonnes. Le projet Bacquelaine ne résout en rien ce problème à long terme. Au contraire, notamment avec son incitant, il accroît le problème pour Bruxelles et la Wallonie. Le Gouvernement continue de faire peser le poids de ses mesures sur le dos des pouvoirs locaux et indirectement sur les Régions qui doivent assurer le monitoring et l’équilibre budgétaire de leurs communes.

-> La volonté est claire, d’une part, d’affaiblir le premier pilier de pension publique pour privilégier le second pilier de pension privée, et d’autre part, de favoriser le statut de contractuel plutôt que de statutaire. Le tout s’insère dans une réforme qui se fera sur le dos des communes.

5. Les positions des autres partis

Aucun parti ne bouge, hormis le PS, à tous les niveaux de pouvoir (Fédéral, Cocof, RW, communes). On est soutenu dans nos arguments par Défi, cdH et Ecolo. Le PTB n’a pas pris part aux débats sur ce thème à la Chambre.

Le MR indique que la réforme est nécessaire pour assurer le financement du Fonds et accuse la loi Daerden de 2011 (qu’ils ont pourtant voté à l’époque, Clarinval s’était « réjoui » de la réforme[3]). Ils ont qualifié la procédure en conflit d’intérêt intentée contre ce projet comme étant inconsciente.

Par ailleurs, l’UVCW est pour l’instauration d’une pension complémentaire pour les contractuels.

6.    Les actes posés parle PS

6.1.  Travail en Commission 

Où nous nous sommes opposés à ces attaques contre la pension de nos agents et avons déposé de nombreux amendements. Tous ont été rejetés par la majorité. En plénière, nous avons redéposé un amendement permettant d’élargir la base de financement du FPS mais il a été rejeté à son tour.

6.2. Dépôt de propositions de loi

Les propositions visaient à permettre le vote rapide d’une réponse au problème de trésorerie du Fonds en veillant à ce qu’une solution structurelle, concertée avec les pouvoirs locaux, qui passe par exemple par un financement externe du Fonds, soit mise en place dans un délai de 3 ans.

 7.    Quelques initiativesen dehors de la Chambre

  • Motions déposées au niveau local pour appeler le gouvernement fédéral à repenser sa réforme : par exemple, Stéphane Crusnière au CC de Wavre et Majorité PS au CC de Herstal. 
  • Lettres de nombreuses villes au SFP afin d’obtenir les estimations de l’évolution de la charge pension suite à l’introduction de la pension mixte.
  • Dépôt et adoption d’une motion en conflit d’intérêt.

8.Communication / réseaux sociaux

1. Les mécanismes tels que prévus par le projet de loi sont catastrophiques :

– Pour les agents contractuels en fin de carrière  → trop tard pour être nommés (pension mixte) et trop tard pour bénéficier d’un second pilier décent ;

 – pour les pouvoirs locaux bruxellois et wallons, qui financeront indirectement les incitants au second pilier des PL flamands.

pour tous les pouvoirs locaux, qui restent malgré la réforme, le seul pouvoir public à financer, seul, la pension de leurs agents ;

pour les pouvoirs locaux responsabilisés (wallons, flamands et bruxellois) quant à l’explosion des cotisations de responsabilisation (610 millions d’augmentation  d’ici 2023, auquel s’ajoute le paiement des CR l’année N et non plus N+1 (lissage sur 6 ans).

Nécessité de revoir entièrement le financement du Fonds de pension solidarisé afin de rendre les charges plus supportables pour les communes. Situation intenable pour les pouvoirs locaux au détriment du service aux citoyens et de l’emploi.

2. De plus, dans son programme pour les élections communales, en page 11, le MR insiste pour que les moyens humains et budgétaires nécessaires à l’exercice de leurs missions soient accordés aux pouvoirs locaux chargés de les mettre en oeuvre. Il demande que, lorsque de nouvelles obligations leur sont confiées par d’autres niveaux de pouvoir, ces derniers puissent en assumer le financement. »

—> Les Libéraux prétendent défendre  le principe de la neutralité budgétaire. Or le projet du Ministre Bacquelaine, en plus de servir les intérêts flamands met sous pression les finances des pouvoirs locaux en leur transférant une charge sans prévoir de financement adéquat.

Double discours entre ce qui se décide au Gouvernement fédéral et ce qui se dit ou s’écrit dans les programmes électoraux MR. 3. Le PS réinsiste pour qu’une motion soit votée dans tous les CC pour demander au Fédéral de prévoir un financement alternatif du Fonds de pension solidarisé  et de garantir la neutralité budgétaire. Car le maintien en l’état de ce régime des pensions aura un impact sur les finances communales, et donc sur les citoyens et travailleurs des pouvoirs locaux!

 

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[1] Due par certaines APL lorsque les cotisations versées sur base des agents statutaires actuels de l’administration en question, ne suffisent plus à payer le coût des pensions des anciens agents statutaires.

[2] Deuxième pilier, mécanisme de pension privée.

[3] source T.co

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