1906 : le lock-out de Verviers

1906 : le lock-out de Verviers

Il y a plus de cent ans, le lock-out de Verviers a transformé les rapports entre le patronat et la classe ouvrière dans la société belge.

A Verviers, 1906 voit la naissance de la Fédération des Ouvriers du Textile, ce à quoi le patronat s’oppose vivement par la création de la Fédération Patronale. Un climat revendicatif particulièrement tendu règne alors. Il ne se passe pas un mois sans que trois ou quatre secteurs de l’économie verviétoise ne soient simultanément affectés par un conflit social.

Face à ce vent de contestation ouvrière, la Fédération Patronale introduit dans ses statuts une clause aussi radicale que particulière : le lock-out. En cas de grève dans une des usines de la fédération patronale, les patrons membres de la fédération s’engagent à fermer les usines d’un même secteur. Même dans les milieux libéraux, cette mesure n’est pas toujours bien accueillie : le journal L’Union Libérale Verviétoise, organe du patronat, estime que cette mesure est excessive et va à l’encontre des principes de liberté.

L’agitation et la contestation sociale grandissant, la Fédération Patronale décrète alors un premier lock-out fin février à Dison. Mille quatre cent ouvriers se retrouvent au chômage. Mi-avril, suite à de nouveaux désaccords et de nouvelles grèves, les patrons laveurs et carboniseurs instaurent un nouveau lock-out. Les événements s’enchainent ensuite : lock-out de tous les tissages, puis lock-out des lavoirs et enfin lock-out général sur le textile. La situation est particulièrement explosive et, fin septembre, prêt de 16 000 hommes et femmes sont privés de travail. Les trois-quarts de la masse ouvrière verviétoise est alors contrainte à l’inaction.

Dans les familles de lock-outés, l’absence de revenus se fait cruellement sentir et le quotidien n’est pas rose. Heureusement, dans le pays, la mobilisation est générale : de nombreux dons vont affluer vers Verviers. Pour échapper à la misère, des enfants de lock-outés sont envoyés aux quatre coins de la Belgique. Ainsi, c’est près de 3 000 enfants qui prennent le chemin de l’exil. Leurs départs, ainsi que leurs retours donnent lieu à plusieurs cortèges et à de nombreuses manifestations. Pour le jeune Parti Ouvrier Belge (ancêtre du Parti Socialiste), c’est l’occasion de manifester sa force et sa solidarité.

Finalement, le 30 octobre, après 15 jours de négociations, un accord est conclu entre les fédérations textiles patronales et ouvrières. La grande grève aura duré près de trois mois et le lock-out près de sept semaines. Les ouvriers acceptent une grande partie des propositions patronales : le patronat réaffirme son autorité exclusive dans les ateliers et se met à l’abri de grèves répétées, tandis que la Fédération syndicale y gagne sa reconnaissance.

Comment réagissent les mondes patronal et ouvrier à la fin de ce conflit ? Voici la réaction de deux journaux de tendances opposées, Le Travail et L’Union Libérale Verviétoise, ils semblent être tout deux sur la même longueur d’onde.

Selon Le Travail : « Il n’y dans cette grève ni vainqueurs, ni vaincus, mais deux parties qui se reconnaissent de force égale et qui consentent à traiter de pair ». Les ouvriers appréhendent parfois la fin de leur calvaire avec humour. Pour L’Union Libérale Verviétoise : « Cet événement signifie l’avènement d’un régime nouveau par la naissance d’institutions en qui des hommes de bonne volonté, des deux parts, ont placé leur espoir d’une paix durable entre le capital et le travail. »

Quoi qu’il en soit, cet épisode marque l’histoire sociale verviétoise, liégeoise et belge. Depuis lors, on s’aperçoit que, pour ses revendications, la classe ouvrière va progressivement abandonner la violence pour les moyens plus pacifiques de l’organisation syndicale centralisée, réfléchie et méthodique. C’est surtout la naissance des associations professionnelles et de la convention collective. Du côté patronal comme du côté ouvrier on n’a plus affaire à des luttes individuelles mais à des causes collectives. Il se trouve maintenant de part et d’autres deux entités organisées qui peuvent traiter d’égal à égal.

Serge SMAL, Institut Liégeois d’Histoire Sociale. Mai 2006.

 

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