Le journal Le Monde du Travail est né en 1940. Face au contexte opprimant de l’occupation allemande, René Delbrouck, échevin socialiste d’Ougrée, et son ami Charles Rahier se demandent comment rassembler les militants socialistes et leur remonter le moral après la capitulation de l’armée belge. Comme tout rassemblement populaire est proscrit, vient alors à Delbrouck l’idée de lancer un journal clandestin, organe de la section provinciale liégeoise du POB clandestin et adversaire de l’organe collaborateur fondé par l’ancien président du POB Henri De Man, l’UTMI (Union des travailleurs manuels et intellectuels).
Le 18 juin 1940, Charles Rahier, qui travaillait déjà avant guerre dans un atelier d’impression, se lance avec son ami dans l’impression d’environ 200 premiers exemplaires du journal. Entre-temps, Théodule Gonda, bourgmestre de Flémalle, et Fernand Noppens, syndicaliste métallurgiste à Seraing, se sont joints à eux. Pendant deux mois, le journal est imprimé sur une veille machine de l’administration communale d’Ougrée et paraît d’abord sous le titre de Résurrection, titre qui exprime bien la volonté de renouveau du Parti souhaitée par les Jeunes Gardes Socialistes d’où proviennent Delbrouck et Rahier. Le premier numéro est signé Centre de Propagande Socialiste.
Le Monde du Travail connaît immédiatement un certain succès – devenant même par la suite le plus important journal clandestin – si bien que l’équipe s’étoffe très vite et que l’impression du journal va être déplacée dans la petite imprimerie de Madame Barbe Gillard-Peeters en Outremeuse. Des hommes de métier composent et impriment le journal sous la direction de René Delbrouck puis de Charles Rahier ; René Delbrouck est arrêté et meurt, en effet, en 1942. La qualité de leur travail est remarquable, compte tenu du peu de moyen. Le Comité exécutif du Mouvement Socialiste Clandestin de la Province de Liège constitue le comité de direction du journal et partage comme président Joseph Leclerq. On y retrouve notamment Edmond Leburton pour Huy-Waremme. Plusieurs centaines de bénévoles vont contribuer à diffuser le journal, malgré les arrestations.
La moitié du produit de la vente est versée au Fonds de Solidarité Georges Truffaut – René Delbrouck. Bien sûr, sa parution est irrégulière mais Le Monde du Travail réalise la prouesse d’être publié de façon hebdomadaire. Il sera ensuite bimensuel puis mensuel et finira par atteindre un tirage de 35.000 exemplaires. Le Monde du Travail compte environ huit pages.
Plusieurs personnalités en vue ou qui le deviendront vont rédiger des articles pour le journal (Joseph Bondas, Louis de Brouckère, Fernand Dehousse, Georges Dejardin, Joseph Merlot, Hubert Rassart, Léon-Eli Troclet…).
Alors que d’autres disparaissent à la Libération, Le Monde du Travail est repris en main par la Fédération liégeoise du nouveau Parti Socialiste Belge. Celle-ci est, en effet, désireuse de pouvoir y exprimer le point de vue liégeois, qui n’est pas nécessairement tout à fait le même que celui exprimé par le bureau national dans Le Peuple, journal jugé trop bruxellois. Le journal devient un quotidien et est imprimé le 9 septembre 1944 dans les ateliers de La Wallonie. Malheureusement, l’aventure tourne vite au cauchemar : sans argent, sans locaux, sans imprimerie et même sans papier, Charles Rahier est contraint en 1946 de confier l’impression de son journal au Peuple et d’en faire ainsi simplement l’édition liégeoise. Les deux journaux sont financés par l’Action commune (Parti, Syndicat, Mutuelle, Coopératives). A noter qu’en réalité, la diffusion du Monde du Travail s’est étendue presque dès sa naissance à l’ensemble de la province de Liège.
La Une du Monde du Travail, 26 décembre 1960, Coll. ALPHAS
Reflet des personnalités auxquelles il fait appel, Le Monde du Travail afficha son opposition au retour du roi Léopold III, s’engagea dans le combat du Mouvement Wallon et fut aux côtés des grévistes durant l’hiver 1960-61 appelant les gendarmes à ne pas tirer sur les grévistes. Le jour de cet appel, Le Monde du Travail fut même interdit par les gendarmes, retournant pour un jour dans la clandestinité ! Bref, Le Monde du Travail se fit l’écho des mouvements sociaux qui ont marqué son temps.
Le Monde du Travail et l’édition nationale du Peuple paraîtront jusqu’au 1er janvier 1980. La vie de ces journaux ne fut jamais un long fleuve tranquille. Plusieurs raisons expliquent leur disparition. Il y a, tout d’abord, le contexte de crise général que traverse la presse que ce soit sur le plan national et international ! La presse voit l’apparition de nouveaux concurrents : il y avait déjà la radio mais voilà maintenant la télévision. La crise touche surtout la presse d’opinion et la presse de gauche en particulier car elle n’entre pas dans le moule capitaliste basé sur la recherche du profit à tout prix et du conformisme.
Guillaume Rimbaud – ALPHAS
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Sources :
- René Campé, Marthe Dumon, Jean-Jacques Jespers, Radioscopie de la presse belge, éd. André Gérard et Marabout, Verviers, 1975 (Coll. ULg)
- Edouard Cordier, Livre blanc de la presse socialiste, éd. Edouard Cordier, Bruxelles, 1980 (Coll. ALPHAS)
- Institut Emile Vandervelde, Dossier presse socialiste, Bruxelles, 1979 (Coll. ALPHAS)
- Monique Vander Noot-Eeman, Présentation et étude de contenu de deux journaux clandestins liégeois, sous l’occupation allemande, pour la période allant d’octobre 1942 à septembre 1944 : La Libre Belgique ressuscitée en 1940 et Le Monde du Travail, mémoire en communication à l’ULB, Bruxelles, 1990-91 (Coll. ALPHAS)
- Vanessa Faure, Paroles d’ombres. La presse clandestine en temps de guerre. Analyse du phénomène et étude d’un cas concret : Le Monde du Travail (journal clandestin liégeois) à travers l’année 1943, mémoire en communication à la Haute-Ecole Léon-Eli Troclet, Seraing, 1999-2000 (Coll. ALPHAS)
- 1885/1985 : Du Parti Ouvrier Belge au parti Socialiste, éditions Labor, Bruxelles, 1985
- Institut Emile Vandervelde, Parti Socialiste Belge, 1885, 1960 : les fastes du Parti, Bruxelles, 1960
- Linda Musin, Histoire des Fédérations : Liège, coll. Mémoire ouvrière, éd. PAC, Bruxelles, 1985 (Coll. ALPHAS)