L’affaire Sacco-Vanzetti
Le 10 octobre 2006, était organisée la quatrième édition de la journée mondiale contre la peine de mort. A l’initiative de la « Coalition mondiale Contre la Peine de Mort », le but de cette organisation est bien entendu l’abolition de la peine de mort.
Le 21 au 23 juin 2001, à l’occasion du premier congrès mondial contre la peine de mort, les abolitionnistes déclaraient: « La peine de mort signe le triomphe de la vengeance sur la justice et viole le premier droit de tout être humain, le droit de vivre. La peine capitale n’a jamais dissuadé le crime. Elle constitue un acte de torture et l’ultime traitement cruel, inhumain et dégradant. Une société qui recourt à la peine de mort encourage symboliquement la violence. Toutes les sociétés, respectueuses de la dignité de leurs membres, doivent s’efforcer d’abolir la peine capitale ».
Les USA font partie des dernières démocraties à (ab)user de la peine de mort. Tout au long de leur histoire, la peine capitale va se retrouver au centre de diverses affaires. Ainsi, en 1927, deux anarchistes, Nicolas Sacco et Bart Vanzetti sont exécutés sur la chaise électrique, entrainant une vague d’indignation qui déferle à travers le monde.
En 1917, lors de l’entrée en guerre des USA, la propagande anarchiste consistait essentiellement à déconseiller aux travailleurs de servir dans l’armée. Ceci n’est évidemment pas du goût des autorités américaine qui intensifie la répression envers les réfractaires et les anarchistes. D’origines italiennes et anarchistes convaincus, Nicolas Sacco et Bart Vanzetti s’étaient réfugiés au Mexique pour échapper à la mobilisation. C’est au sud du Rio Grande qu’ils font connaissance.
A la fin de la guerre, on observe un raidissement et un repli sur soi de la société américaine. Le contexte social américain n’est pas tendre envers les mouvements de gauches et, en particulier, le mouvement anarchiste. De plus, un climat xénophobe pèse alors sur l’Amérique : limitation de l’immigration (1924), activités du Ku Klux Klan, défense de l’identité WASP (White Anglo-Saxon Protestant)… Pour ne rien arranger, certains anarchistes confondent débat d’idée et terrorisme. De nombreux Américains ne font plus la différence entre l’activiste anarchiste et le militant qui exerce sa propagande sur son lieu de travail, dans son quartier, ou par la parole et son comportement.
Le 5 mai 1920, Sacco et Vanzetti, qui étaient rentrés aux Etats-Unis, sont arrêtés dans un tramway à Brokton. On les accuse d’un double hold-up : le 24 décembre 1919 à Bridgewater et le 15 avril 1920 à South Braintree, où deux convoyeurs avaient été abattus. Le 16 août, seul Vanzetti est condamné (15 ans de prison). Être anarchistes et immigrés Italiens ne joue pas en faveur des accusés. Un second procès à lieu pour le braquage et le double meurtre de South Baintree et, malgré l’absence de preuves, ils sont condamnés à la peine capitale le 14 juillet 1921.
Manifestation à Londres
L’affaire « Sacco et Vanzetti » prend alors toute son ampleur ; elle durera 7 longues années. Des comités de défense se mettent en place dans le monde entier pour sensibiliser l’opinion sur cette injustice. C’est bien sûr en Europe que la contestation est la plus virulente. Ainsi, Londres, Paris et Berlin voient l’organisation de nombreuses manifestations de soutien à Nicolas Sacco et Bart Vanzetti.
Le 26 mai 1926, se produit un coup de théâtre ! Un certain Celestino Madeiros confesse avoir perpétré le braquage meurtrier. Rien n’y fait, le juge Thayer refuse de rouvrir le dossier. Malgré des preuves irréfutables, le juge et le district attorney développent une argumentation imprégnée de xénophobie. De plus, il apparait rapidement que la décision du tribunal est influencée par le fait que les deux accusés sont connus comme anarchistes.
Suite à l’énorme engouement que suscite leur situation, Sacco et Vanzetti prennent la mesure du symbole qu’ils sont devenus. Ainsi, quelques mois après sa condamnation, Vanzetti endosse le costume de martyr et déclare à son juge :
« Si cette chose n’était pas arrivée, j’aurais passé toute ma vie à parler au coin des rues à des hommes méprisants. J’aurais pu mourir inconnu, ignoré : un raté. Ceci est notre carrière et notre triomphe. Jamais, dans toute notre vie, nous n’aurions pu espérer faire pour la tolérance, pour la justice, pour la compréhension mutuelle des hommes, ce que nous faisons aujourd’hui par hasard. Nos paroles, nos vies, nos souffrances ne sont rien. Mais qu’on nous prenne nos vies, vies d’un bon cordonnier et d’un pauvre cœur de poisson, c’est cela qui est tout ! Ce dernier moment est le nôtre. Cette agonie est notre triomphe. »
En fait, Sacco et Vanzetti sont dépassés par les événements. Il ne s’agit plus du procès de deux homme, mais d’une lutte idéologique. Aux USA, la peur des « rouges » est grande, et à travers les deux italiens, c’est le socialisme qui est visé. Au sein même des comités de soutiens, le Parti Communiste et les anarchistes tirent la couverture à eux. La récupération n’est pas loin… On ne peut d’ailleurs s’empêcher de tirer un parallèle avec l’affaire Rosenberg en plein Mac Carthysme.
Enterrement de Vanzetti et Sacco
Les tracts, les meetings et les manifestations s’avèrent incapables de faire plier la justice américaine. De report en report, ils sont menés à la chaise électrique en compagnie de Celestino Madeiros. Avant de monter sur la chaise, Nicolas Sacco, fidèle à ses convictions, s’écrie : » Vive l’anarchie ! ». Il est exécuté le 23 août à minuit dix -neuf. Les dernières paroles de Vanzetti sont pour ses bourreaux : » Je veux pardonner à certains ce qu’ils font maintenant. ». La décharge électrique suit, il est minuit vingt-six.
Une foule nombreuse se presse à l’enterrement de Nicolas et Bart. L’émotion qui en résulte n’est pas feinte. Ainsi, en France, plusieurs appels à manifester sont lancés. Les anarchistes donnent rendez-vous devant l’ambassade américaine et les communistes sur les grands boulevards. Finalement, les deux cortèges se rencontrent et, plutôt que l’union et la commémoration, provoquent une émeute : on dénombre 200 cents arrestations et plusieurs centaines de blessés. Cet épisode démontre bien que ces deux hommes, le procès et l’exécution furent instrumentalisés par les différentes idéologies qui s’affrontaient dans le courant des années 20.
Le Libertaire publie une édition spéciale seulement vingt minutes après l’exécution. Sous le mot « Assassinés » qui barre la première page, l’Union anarchiste appelle à manifester le soir même devant l’ambassade américaine. De son côté, le Parti communiste donne rendez-vous à ses troupes sur les grands boulevards de la Porte St Martin à la rue Montmartre. Les deux cortèges finissent par se rassembler. Ces manifestations tournent presque à l’émeute. L’Humanité dénombre plus de deux cents arrestations et plusieurs centaines de blessés. Les dégâts matériels sont considérables.
Quoi qu’il en soit, l’assassinat des deux anarchistes italiens reste encore aujourd’hui un symbole de l’émancipation internationale des exploités et du courage anarchiste. En 1971, Giuliano Montaldo réalise un film racontant l’affaire (Sacco et Vanzetti). Here’s to you, la bande originale du film, composée par Ennio Morricone et chantée par Joan Baez, a un succès retetentissant. Pour la version française, c’est Georges Moustaki qui assure le chant.
A l’autopsie, en infligeant la peine de mort à Nicolas Sacco et Bart Vanzetti, le juge Thayer et ses soutiens, voulaient écraser leurs idées, ils ont raté leur cible…
Vanzetti l’avait prédit : « Cette agonie est notre triomphe.».
Here’s to you – La Marche de Sacco et Vanzetti.
Here’s to you, Nicola and Bart
Rest forever here in our hearts
The last and final moment is yours
That agony is your triumph
Maintenant Nicolas et Bart
Vous dormez au fond de nos cœurs
Vous étiez tous seuls dans la mort
Mais par elle vous vaincrez !