La vulgarisation scientifique socialiste

La vulgarisation scientifique socialiste

Les socialistes vont se nourrir de plusieurs courants de pensée en les adaptant aux revendications socialistes. Il fallait que le peuple apprenne à lire et à calculer pour qu’il puisse s’organiser et revendiquer des droits politiques (droit de vote…) et sociaux (droit de grève…), mais aussi l’instruction obligatoire. Les actions menées par les socialistes vont d’abord suppléer à celle-ci et ensuite combler ses manquements. Ces actions vont également avoir pour but d’aider à l’intégration sociale (permanence d’écrivains publics, cours d’alphabétisation puis d’informatique…).

Avec l’obtention des congés payés, des pensions de retraite, la diminution du temps de travail et l’amélioration du niveau de vie des ouvriers, les socialistes vont se fixer comme autre objectif d’occuper intelligemment l’ouvrier et de rendre la culture financièrement accessible. Dès 1900, Paul Pastur, Député permanent du Hainaut, créa notamment la Commission des Loisirs de l’Ouvrier. A Liège, Fernand Charlier fonda La Maison des Loisirs de l’Ouvrier.

C’est tout d’abord l’influence du modèle libéral progressiste et laïc qui est naturellement la plus marquée puisqu’une partie des dirigeants du jeune POB proviennent de ce courant. Le but est d’améliorer le sort de la classe ouvrière grâce à l’instruction et de lui permettre d’accéder à la culture. Dans la pratique cependant, les actions organisées par ce biais-là attirent principalement les classes moyennes, déjà conscientes du pouvoir bénéfique de l’instruction, comme en fait le constat Emile Vandervelde.

Le socialisme belge va aussi développer l’instruction du peuple par le peuple. Celle-ci est basée sur les réflexions collectives, les échanges de savoirs, des expériences vécues, l’apprentissage de méthodes d’appropriation du savoir, où l’ouvrier n’est plus seulement spectateur mais acteur du savoir.

Les actions entreprises sont dues, dans un premier temps, à des initiatives individuelles d’intellectuels ou de travailleurs hautement qualifiés désireux de faire profiter les ouvriers de leur savoir ou de partager des connaissances. Il faut dire que le POB ne naît qu’en 1885. Les socialistes vont ensuite s’appuyer sur un tissu associatif propre, imitant en cela le modèle chrétien.

Partant en partie du modèle libéral mais adapté aux revendications socialistes, des intellectuels publient des livrets éducatifs et de propagande (tel Le Catéchisme du Peuple écrit par Defuisseaux (1843-1901) en 1886), donnent des conférences (conférences scientifiques des Extensions Socialistes…), développent comme en France des universités populaires (à Marcinelle, Mons, Université du Travail de Mons fondée par Paul Pastur et qui se veut polytechnique…) pour diffuser la science, la culture et les idées socialistes. Ils collaborent également avec des écrivains ou des musiciens à l’animation des soirées de la Section d’Art et d’Enseignement de la Maison du Peuple de Bruxelles pour sensibiliser le peuple à la création artistique.

Dès 1875, soit 10 ans avant la création du POB, sont organisés à la Chambre du Travail de Bruxelles des cours de français, d’arithmétique et d’initiation au socialisme pour une centaine d’ouvriers et d’employés issus de différentes associations professionnelles, ce qui est considéré comme le premier mouvement de vulgarisation socialiste. L’année suivante est fondée la première école socialiste à Gand.

Sur le plan du partage collectif et mutuel des connaissances, des ouvriers qualifiés autodidactes réalisent les premiers journaux ouvriers (La Voix du Peuple en 1848, Le Prolétaire en 1855), organisent des bibliothèques d’ateliers (bibliothèque des tisserands gantois en 1860, bibliothèque des typographes bruxellois en 1863) et conscientisent leurs camarades par la chanson, la lecture de textes engagés ou le théâtre dans les cabarets. Jacob Kats, ouvrier tisserand gantois, surnommé « le Molière des cabarets », est sans doute un des premiers « animateurs » en milieu populaire.

Ces actions participatives seront par la suite institutionnalisées sur le modèle associatif chrétien : chorales, cercles théâtraux, sportifs, mouvements de jeunesse, les Femmes Prévoyantes Socialistes (nées en 1922), les Pensionnés Socialistes… Une radio libre socialiste (Resev) est même créée en 1930. De nouveaux journaux se veulent l’organe officiel du mouvement socialiste (à Liège, La Wallonie à partir de 1903 et Le Monde du Travail de 1940 à 1979). Les bibliothèques ouvrières rassemblent autant des œuvres classiques que des livres imprimés par le mouvement socialiste. L’Eglantine (1922) est, de ce point de vue, la maison d’édition la plus connue. Quant au sport, il n’a pas pour seul but de divertir mais s’inscrit dans une démarche sanitaire éducative, comme en atteste la création du Senaco (Service Sanitaire Ouvrier). Cercles locaux et Fédérations se rencontrent régulièrement à l’occasion de fêtes sportives. C’est Seraing qui accueille, par exemple, les Olympiades Ouvrières en 1921.

Les Maisons du Peuple seront le lieu propice pour concentrer toutes ces actions de vulgarisation. Certaines abritèrent même une salle de cinéma, comme à Liège dès 1920-21. On pouvait y voir des films à portée sociale aussi bien que des films tous publics. A partir de 1930, ces salles peuvent choisir leurs films dans un catalogue de l’Union Coopérative.

Toujours dans un objectif de centralisation et de professionnalisation, sera fondée en 1911, sur le modèle social démocrate allemand, la Centrale d’Education Ouvrière (CEO), qui elle-même met en place une Ecole Ouvrière Supérieure (EOS) ainsi que des Cercles Régionaux d’Education Ouvrière (CREO) et des Cercles Locaux d’Education Ouvrière (CLEO). La CEO dispose de deux secrétariats communautaires.

L’éducation populaire socialiste vise trois publics : les cadres, les militants et le peuple.

Premier public, les cadres (responsables associatifs, permanents). Il s’agit de les rendre plus efficaces tout en développant leur conscience politique. Fondée en 1921, l’Ecole Ouvrière Supérieur d’Uccle forme, par cycle de deux ans, une quarantaine de cadres ou de futurs cadres pour toutes les branches du mouvement ouvrier. Les élèves sélectionnés devant démissionner de leur emploi professionnel, ils sont pris en charge financièrement par la CEO et sont logés en internat.

De nouvelles méthodes pédagogiques y seront expérimentées (monitorat, travail d’équipes, comités d’élèves…). Lorsque ces élèves sortent de leur formation, ils sont généralement engagés comme permanents par l’une ou l’autre branche du mouvement ouvrier et occupent des responsabilités politiques ou exercent des postes de responsabilités dans l’administration. Jean Nihon, qui commença comme délégué syndical des ateliers mécaniques de Liège, en est un parfait exemple. Il deviendra « boursier » de l’Ecole Ouvrière Supérieure (EOS) avant de devenir permanent de la CEO, où il exercera notamment les fonctions de conférencier aux CLEO, de responsable fondateur d’une des premières auberges de jeunesse à Visé et de professeur puis directeur de l’EOS. C’est également sous son impulsion qu’est né le mouvement de jeunesse des Faucons Rouges en 1928.

Autre public, les militants, les acteurs de terrains de la vulgarisation scientifique, pris en charge par les CREO et les CLEO. Ici, le système imaginé est, de nouveau, fort sélectif, puisque les élèves sont choisis sur base de leur degré d’enseignement. Si les écoles socialistes pour la formation des militants existent depuis 1908-1909, la première expérience de cours pour militants remonte, en réalité, à 1905, lors de la grève du textile gantois. La formation des militants se fait aussi par cours du soir ou du dimanche. Au niveau syndical, les semaines syndicales seront mises en place à cet effet. Notons encore, au début, l’apparition d’écoles mutuelles d’orateurs où chacun à son tour s’exerce à prendre la parole en public sur un sujet d’actualité. Enfin, bien sûr, le troisième public visé par les actions de vulgarisation est le public populaire.

La Centrale d’Education Ouvrière sera d’abord financée grâce au mécénat de l’industriel Solvay, puis par les différentes composantes du mouvement socialiste (le parti, le syndicat, la mutualité et les coopératives). En 1921, Jules Destrée fait voter une loi qui ouvre le financement des actions complémentaires à l’école par les pouvoirs publics. Jules Destrée favorisa également le développement des bibliothèques publiques.

Après la Deuxième Guerre mondiale, les différentes branches du mouvement socialiste (le parti, le syndicat et la mutualité) vont se développer indépendamment l’une de l’autre et organiser ou intensifier un réseau associatif socioculturel propre (le CEPAG en 1976 à la FGTB, la Fondation ou Form’Action André Renard en 1963 et l’asbl Promotion et Culture à la FGTB Liège-Huy-Waremme ou, pour la mutualité, les Femmes Prévoyantes Socialistes et la Mutualité des Jeunes Travailleurs…). Le Parti Socialiste Belge, lui, crée en 1946 un centre de documentation et d’analyse, l’Institut Emile Vandervelde à Bruxelles, suivi à Liège en 1987 par l’Institut Liégeois d’Histoire Sociale.

La Centrale d’Education Ouvrière souffrira de cette dispersion, se muant parfois en concurrence. Elle survivra jusqu’en 1965 et sera remplacée en 1969 par le PAC (Présence et Action Culturelles) et son équivalent flamand la Centrale Socialiste Culturelle, la communautarisation étant passée par là !

La formation des cadres et des militants est désormais assurée de façon séparée. La coordination de l’action des différentes associations socialistes se fait alors au sein de l’Action commune des trois branches du mouvement socialiste, institutionnalisée en 1991 par l’Action Commune Culturelle Socialiste (ACCS) dont la visibilité est assurée par la publication des cahiers de l’éducation permanente, aujourd’hui dépendant essentiellement du PAC.

 

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