Ernesto Che Guevara fait partie des personnalités qui ont marqué l’histoire du 20ème siècle. De militant communiste dur voulant imposer sa doctrine par la violence et la lutte armée, il devient le symbole de toutes les révoltes et de la liberté. Dans un siècle marqué par la puissance de plus en plus grande de l’ « image », deux photos ont grandement contribué à l’immense popularité du Che et à la construction du mythe.1
La première, œuvre d’Alberto Korda, est sans doute la photo la plus connue et reproduite au monde.
Elle fut prise le 6 mars 1960, lors d’une cérémonie funéraire. Un attentat, attribué à la CIA, contre un paquebot français transportant des armes, que Cuba avait achetées à la Belgique, avait fait 80 morts et 200 blessés.
Une tribune est érigée à proximité du cimetière, Fidel Castro y prononce un de ces légendaires discours. Aux côtés du nouveau maître de la Havane, se tiennent Jean-Paul Sartre et Simone de Beauvoir, mais aussi Ernesto Guevara. Le photographe, Alberto Korda, raconte : « Je n’avais pas vu le Che qui était à l’arrière de tribune jusqu’à ce qu’il s’avance pour embrasser du regard la foule amassée sur des kilomètres. J’ai juste eu le temps de prendre une photo horizontale puis une seconde verticale, puis une seconde verticale (…). Puis le Che s’est retiré. Je n’oublierai jamais son regard, où se mêlaient la détermination et la souffrance ». Si les photos de Sartre et Castro sont publiées celles d’Ernesto Guevara passent inaperçues.
Sept ans plus tard, l’exécution du Che par les militaires boliviens et la CIA crée une énorme vague d’émotion à travers le monde. Un éditeur milanais tire un million d’exemplaire de la photo de Korda en format poster. La photo fait le tour du monde et devient au fil du temps une véritable icône qui dépasse le personnage du Che. Cette image incarne la pureté, la rébellion, le don de soi… Olivier Toscani, auteur des campagnes publicitaires « chocs » de Benetton compare la photo du Che à « un nouveau Christ sur la croix » où le béret étoilé remplacerait la couronne d’épines –pourrait on ajouter-. L’idolâtrie n’est pas loin.
Si la photo est la plus reproduite au monde, son auteur ne touchera jamais de droits d’auteur…
La seconde et dernière
Après son action à Cuba, le Che se rend au Congo, puis en Bolivie pour y exporter la révolution et la guerre contre les Etats-Unis. Il déclare même : « Créer, deux, trois… de nombreux Viet-Nam, telle est la consigne ».
Mais la guérilla bolivienne s’enlise et, le 8 octobre, les révolutionnaires sont encerclés par l’armée dans la gorge du Churo. Le Che est touché à la jambe puis capturé. Evacué dans le petit village de La Higuera, il passe la nuit dans l’école et déclare à son gardien : « C’est la dernière fois que je vois le soleil se coucher ». Il ne se trompe pas, l’ordre de l’exécuter arrive le lendemain matin.
Selon Rodriguez –un agent de la CIA présent sur place-, c’est lui qui annonce au Che qu’il va mourir. Ayant demandé au Che s’il a un message à transmettre, celui-ci lui répond : « Dis à Fidel qu’il verra bientôt une Révolution triomphante en Amérique Latine, et dis à ma femme qu’elle se remarie et qu’elle tente d’être heureuse ». L’agent de la C.I.A. donne l’ordre et le Che s’écroule sous une rafale de mitraillettes. Il avait trente-neuf ans.
Le bourreau, Mario Tèran, a une version différente de l’exécution. Il raconte que c’est lui qui a informé le Che de sa fin imminente : « Je suis resté 40 minutes avant d’exécuter l’ordre. J’ai été voir le colonel Pérez en espérant que l’ordre avait été annulé. Mais le colonel est devenu furieux. C’est ainsi que ça s’est passé. Cela a été le pire moment de ma vie. Quand je suis arrivé, le Che était assis sur un banc. Quand il m’a vu il a dit « Vous êtes venu pour me tuer ». Je me suis senti intimidé et j’ai baissé la tête sans répondre. […)] Je n’osais pas tirer. À ce moment je voyais un Che, grand, très grand, énorme. Ses yeux brillaient intensément. Je sentais qu’il se levait et quand il m’a regardé fixement, j’ai eu la nausée. J’ai pensé qu’avec un mouvement rapide le Che pourrait m’enlever mon arme. « Soit tranquille, me dit-il, et vise bien ! Tu vas tuer un homme ! ». Alors j’ai reculé d’un pas vers la porte, j’ai fermé les yeux et j’ai tiré une première rafale. Le Che, avec les jambes mutilées, est tombé sur le sol, il se contorsionnait et perdait beaucoup de sang. J’ai retrouvé mes sens et j’ai tiré une deuxième rafale, qui l’a atteint à un bras, à l’épaule et dans le cœur. Il était enfin mort.»
Son corps est expédié à l’hôpital de Vallegrande où il est nettoyé puis exhibé aux photographes. L’image fait le tour du monde et est bientôt suivie de celle de Korda. La sanctification du Che pouvait commencer…
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