Intervention de Sébastien Charlier, historien de l’art à l’Ulg, lors du colloque « Georges & France Truffaut : de père en fille » du 22 octobre 2016 politique de grands travaux de Georges Truffaut
Introduction de Philippe Raxhon
Le colloque qu’organise aujourd’hui l’Atelier liégeois pour la promotion de l’histoire et des archives sociales, Alphas, ancien ILHS, traite de deux personnalités, de deux générations, en l’occurrence France Truffaut et Georges Truffaut, la fille et le père. Il aborde aussi à travers eux, une époque de militantisme, une époque pendant laquelle on mettra en exergue l’évolution de la Ville de Liège, la dynamique du mouvement wallon, les enjeux de l’après-deuxième guerre mondiale et la lutte contre le fascisme.
Ce matin, les travaux porteront notamment sur une des identités de Georges Truffaut : celle d’Echevin des travaux de la Ville de Liège de 1935 à 1939.
Dans l’entre-deux guerres, et plus particulièrement pendant les années trente, c’est la montée des orages et une vague d’autoritarisme envahit l’Europe. Malgré ce contexte troublé, des initiatives urbanistiques sont prises à ce moment à Liège : c’est le Lycée de Waha où nous sommes, et où a enseigné France Truffaut. Ce sont les fameux bains de la Sauvenière reconvertis aujourd’hui en Cité Miroir, dont une des salles d’exposition porte le nom de Georges Truffaut. On peut ainsi parler de couches mémorielles et c’est évidemment ce qui fait fructifier la matière historique. Evoquer les couches mémorielles, c’est-à-dire, les traces, les jalons, les accumulations des traces de deux personnages, c’est enrichir la connaissance historique, parce que c’est y intégrer ce qui nous relie directement du passé au présent, ce qui nous relie à l’histoire.
Sans plus tarder, je vais donner la parole à Sébastien Charlier.
Sébastien Charlier est docteur en histoire de l’art et archéologie. Il fait partie du GAR-Archives d’architecture de la jeune faculté d’architecture de l’Université de Liège où il traite de questions historiques.
Sa thèse de doctorat est consacrée à l’architecture à Liège dans l’entre deux-guerres, entre 1928 et 1939. Il est donc particulièrement indiqué pour développer le thème de la politique de grands travaux de Georges Truffaut.
Intervention de Sébastien Charlier
Merci Monsieur Raxhon.
Si vous le permettez, en ce qui concerne les questions d’urbanisme, dans un premier temps, je traiterai des rapports qui ont uni Georges Truffaut à l’avant-garde architecturale belge et liégeoise.
En 1922, deux frères, Pierre et Victor Bourgeois fondent à Bruxelles, avec la complicité de Pierre-Louis Flouquet, Karel Maes et Georges Monier, la revue 7 Arts qui envisage l’architecture dans son rapport avec tous les arts.
Pierre Bourgeois est cinéaste, photographe, peintre et critique d’art.
Victor Bourgeois est architecte. Il est bien précisé que l’objectif de la revue est de faire communiquer les arts ensemble et, en fait, le lycée de Waha qui nous accueille aujourd’hui est un bel exemple de cet idéal d’intégration de tous les arts. 7 Arts est publié de 1922 à 1928. Comme il est de coutume dans les revues d’avant-garde de l’entre-deux guerres, la revue propose des enquêtes, pose des questions à ses abonnés et lecteurs.
Une question particulièrement stimulante est posée en 1926 : « Un homme de trente ans peut-il se voir confier une autorité professionnelle ? La Belgique nouvelle confie-t-elle à des hommes de trente ans des missions importantes et reconnaît-elle leur pouvoir intellectuel ? »
Par cette question, on sent déjà ici, et c’est un trait commun de l’avant garde, cette volonté de mettre la jeunesse au pouvoir.
Et dans les dizaines de réponses qui vont arriver sur le bureau de la rédaction bruxelloise de 7 Arts, deux proviennent de Liège.
La première vient de Georges Linze. Figure majeure de l’avant-garde à Liège. Georges Linze est poète, critique d’art, fondateur du groupe d’art moderne de Liège en 1920 et surtout fondateur de la revue d’avant-garde littéraire Anthologie. Nous en parlerons dans un instant, il est également la cheville ouvrière d’une autre revue liégeoise focalisée quant à elle sur l’architecture.
La seconde réponse liégeoise vient de Georges Truffaut. Par-là, on identifie très tôt les rapports qui vont lier Truffaut à l’avant-garde belge d’abord, liégeoise plus tard. La réponse que donne Truffaut est particulièrement intéressante. En voici un extrait : « L’homme doit tendre au plus tôt à revendiquer sa part d’autorité et de responsabilité. Son expérience ne se forgera qu’au contact des réalités de l’action. L’expérience ne s’acquiert ni dans les livres, ni dans les cours, mais sur les champs de bataille de la vie »[1]. Truffaut est donc abonné à 7 Arts, mais aussi la rédaction estime sa réponse suffisamment intéressante pour être publiée. On sent que les rapports sont déjà étroits. Et, puis, c’est une réponse qui se veut d’un grand pragmatisme, un pragmatisme que l’on retrouvera chez Truffaut, Echevin des travaux publics, il y a aussi cette confiance dans la jeunesse. Truffaut est jeune bien sûr, 26 ans à l’époque, et il veut que l’on accorde de la confiance aux jeunes.
L’avant-garde architecturale se manifeste in concreto une première fois à Liège dans la mouvance du Parti Ouvrier Belge et liégeois à l’occasion de la construction des bâtiments du journal « La Wallonie », rue de la Régence. La réalisation du bâtiment est confiée à une autre personnalité majeure du mouvement ouvrier liégeois : Joseph Moutschen. Celui-ci est un grand architecte et un personnage atypique. Il est né en en 1895 et il termine ses études d’architecture à l’Académie des beaux-arts en 1918, où il avait été est admis en 1914. Il est aussi membre du POB. Il devient conseiller communal et Échevin des travaux publics de Jupille en 1921 (un poste qu’il occupera jusqu’à la fin des années 1970), à l’âge de 26 ans[2]. C’est donc quelqu’un qui va très vite. Il y a donc probablement dès cette époque des rapports qui s’établissent entre Moutschen et Truffaut. Lorsque l’on regarde le bâtiment de « La Wallonie », on constate que la création de Moutschen est particulièrement moderne même si encore tempérée par des éléments décoratifs d’inspiration Art déco. Nous sommes en présence d’un bâtiment doté d’une ossature en béton avec des grandes baies vitrées en bandeaux. Joseph Moutschen est aussi reconnu pour son
travail pour le Mouvement coopératif. Il réalise une série de magasins, de salles de spectacles, de maisons du peuple, dont la maison du peuple de Montegnée construite en 1930, où le registre et l’écriture formelle restent encore marqués par l’Art déco.
En équipant les différentes maisons du peuple de salles de spectacle, Joseph Moustchen, va développer également une expertise en matière d’acoustique qu’il mettra à profit avec son frère Jean Moutschen dans le cadre de la conception de la salle des fêtes du Lycée de Waha[3].
Un autre bâtiment majeur de Joseph Moutschen est la salle de cinéma de la défunte maison du peuple de Herstal, « La Ruche », démolie sans remord il y a quelques années pour laisser place à la nouvelle cité administrative.
Il y a certainement des rapports politiques entre Joseph Moutschen et Georges Truffaut, mais pas seulement. Cependant, même si je n’ai jamais pu trouver d’archives témoignant d’une amitié liant les deux hommes, une confiance mutuelle s’est rapidement mise en place puisqu’en 1931, Truffaut confie à Moutschen la construction de son habitation personnelle, rue Regnier Poncelet. On est cependant devant un bâtiment qui ne révèle pas les convictions de Joseph Moutschen en matière d’architecture puisqu’il s’agit d’une construction relativement consensuelle avec un soubassement en moellons de grès, quelques éléments en béton et une touche décorative avec enduits qui soulignent la loggia.
En 1935, Georges Truffaut occupe le poste d’Échevin des travaux publics de la Ville de liège et il va pouvoir enfin concrétiser ses convictions. La première chose que réalise Truffaut, c’est de nommer à la tête du service des bâtiments communaux, Jean Moutschen comme architecte en chef de la Ville. Jean Moutschen est déjà reconnu pour ses convictions en matière d’architecture moderne puisqu’en 1928, il fonde avec quatre autres personnes (Yvon Falise, Edgard Klutz, Émile Parent, Victor Rogister et Albert Tibaux), tous étudiants en architecture, une revue qui s’appelle « L’Équerre ». La couverture de la revue de 1934 notamment montre toutes les convictions de L’Équerre en matière d’architecture. Le style « Beaux-arts » est barré tout comme le style pompier, styles qui doivent disparaître au profit d’une architecture fonctionnelle.
Nous sommes en 1935, Jean Moutschen est né en 1908 ; il est donc très jeune lorsqu’il accède à la fonction d’architecte en chef de la Ville. Le premier chantier qui lui est confié est l’agrandissement de l’école de Naniot. Le deuxième concerne l’école André Bensberg qui se situe au haut de la rue Saint-Gilles. Ce bâtiment est particulièrement intéressant parce qu’il révèle les convictions modernes en matière d’architecture, certes, mais aussi en matière de pédagogie. C’est d’abord un bâtiment pavillonnaire. Il y a cette idée que l’on veut éviter des accidents aux enfants en supprimant les escaliers. Il y a aussi la volonté d’ouvrir l’espace vers l’extérieur. Ce sont des bâtiments largement vitrés ; on fait rentrer la lumière. Et puis, il y a un gymnase, un potager, un petit parc pour les animaux qui témoignent d’une volonté de confronter les enfants à la vie extérieure. Nous sommes à Saint-Gilles, on n’est pas à la campagne mais en bordure de Ville, d’où cette idée de véritablement faire communiquer l’enfant avec la nature[5].
Le Lycée de Waha sera une autre réalisation qui fera l’objet d’une intense attention de la presse architecturale de l’époque[6]. Nous sommes en 1936, Georges Truffaut est soutenu par l’État, par l’OREC, l’Office du redressement économique, et il dispose de moyens. Mais il est aussi dans une situation délicate et difficile en particulier avec Jean Moutschen. Celui-ci veut développer ses convictions en matière d’architecture et l’architecture moderne, c’est le verre et le béton. Or, nous sommes ici en face d’une façade qui est largement occupée par le petit granit. En fait, la situation économique du moment est difficile et Jean Moutschen doit faire face au lobby des carriers belges. Il est donc probable que l’architecte ait fait l’objet de pressions afin d’utiliser des matériaux plutôt traditionnels comme la pierre naturelle. En termes d’écriture formelle, on est aussi en matière d’architecture, dans une sorte de repli nationaliste. En fait, le modernisme international, on n’en veut plus trop, on veut favoriser l’utilisation des matériaux locaux et un retour à une forme classique. Et cette façade de Waha, avec ses grandes colonnes s’inspire clairement du néoclassicisme, tel qu’il se développe partout en Europe dans la seconde moitié des années 30. Il faut cependant mitiger le propos puisque la modernité s’exprime dans la spectaculaire façade arrière avec ses généreuses ouvertures qui ouvrent sur toute la cour de récréation ; c’est là que le modernisme de Jean Moutschen s’exprime. Et quand on observe la cage d’escalier, entièrement vitrée d’un bout à l’autre, on remarque les prémisses de la façade rideau qui sera un procédé constructif largement répandu après la Seconde Guerre mondiale. Et on sent aussi l’influence de Joseph Montschen, le frère de Jean. Quand on regarde la cage d’escalier du génie civil au Val-Benoît, c’est la même composition[7]. L’influence de Joseph Moutschen va encore se faire sentir dans le travail technique de la salle de spectacle du Lycée, avec une énorme recherche en matière d’acoustique et un recours à un matériau que l’on considère à l’ époque comme le matériau de l’avenir.
La grande originalité de l’intervention de Moutschen, avec le soutien de Truffaut, c’est l’intégration des œuvres d’arts. On est dans le même contexte que pour les maîtres carriers et cette idée qu’il faut faire travailler les artistes locaux. Et Jean Moutschen est dès lors contraint de composer avec les artistes qui veulent absolument être associés au projet. Des compositions sont extrêmement modernes, comme celle du jeune Fernand Steven, mais il y a aussi des interventions d’artistes qui sont plus âgés et reconnus. On a notamment une grande figure de l’Académie des Beaux-Arts en la personne de Berchmans ; sa composition en mosaïque se trouve dans la cour de récréation. Autre détail qu’il faut souligner : en matière de pédagogie, le rapport entre art et jeunes est privilégié. On installe bien des compositions monumentales comme le bas-relief qui orne la façade et qui est très haut. Mais il y a aussi des interventions à hauteur d’enfants, à hauteur des jeunes.
Jean Moutchen revendique aussi, dans de nombreuses revues internationales où le bâtiment est publié, que dorénavant il faille consacrer 5 % du budget de la construction d’un bâtiment aux interventions d’artistes. Une position que la Ville va perpétuer encore au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Regardez le Palais des Congrès où des interventions d’artiste comme Ianchelevici sont nombreuses. Tout cela s’inscrit dans une tradition qui est née en 1936/38.
Un autre bâtiment remarquable, confié, lui, à Georges Dedoyard, sera bien entendu la piscine de la Sauvenière (1938-1942) où l’enjeu sera de mettre le sport en exergue. Il s’agit de montrer la puissance du corps. Mais on est aussi dans une vocation sociale, puisque ce bâtiment qui associe deux grands bassins et des salles de sport, comporte également des bains douches. Dans la façade on retrouve un ordonnancement assez classique, avec des colonnes et des matériaux beaucoup plus intéressants puisque Georges Dedoyard travaille sur des briques de verres qui ont été magnifiquement restaurées dans le cadre du projet de la Cité Miroir.
Je reviens sur la jeunesse.
Après avoir nommé en 1935, Jean Moutschen, 28 ans, architecte en chef de la Ville de Liège, Georges Truffaut, en 1937, désigne un autre jeune, Yvon Falise qui a 29 ans et est un des fondateurs de L’Équerre, à la direction de l’architecture de cette grande aventure que constitue l’Exposition internationale des techniques de l’eau . Il faut imaginer ce jeune gars qui a développé des vues protestataires à travers L’Équerre, se retrouvant à la tête de tous les architectes qui vont travailler à l’Exposition internationale de l’Eau, et notamment de tous ces professeurs de Saint-Luc et de l’Académie qui veulent absolument participer à cette aventure et qui ne partagent certainement pas toutes les convictions du jeune architecte en chef.
La première chose que va faire Yvon Falise est de s’assurer le soutien d’une personnalité internationalement reconnue. En 1937, il fait venir Le Corbusier à Liège. La figure de proue du Mouvement moderne y est accueillie comme un prince. Il utilise un avion pour prendre connaissance du site. Mais pour des raisons non encore éclaircies aujourd’hui, peut-être liée à des considérations nationalistes qui implique que la direction du projet soit confiée à un Belge, Le Corbusier est rapidement évincé. Existent cependant quelques premières esquisses qu’il a réalisées. Pour lui, l’exposition devait s’articuler sur une grande dalle couverte par des structures métalliques aérodynamiques. Cette idée est reprise par Yvon Falise et Charles Carlier (fondateur du Groupe Egau) pour le bâtiment d’entrée de l’exposition (vers Bressoux) et dont la forme s’inspire d’une grande aile d’avion, quelque chose d’extrêmement léger qui constitue une prouesse technologique inspirée de Le Corbusier.
A l’Exposition de l’Eau naissent les courants architecturaux qui vont influencer l’urbanisme liégeois. Yvon Falise est un des fondateurs de L’Équerre qui a construit de nombreux logements sociaux dans l’agglomération liégeoise, mais aussi un bureau d’architectes tristement célèbre pour le grand trou de la place Saint-Lambert. Charles Carlier, après avoir collaboré au projet de l’Exposition de l’Eau, fonde en 1940 l’EGAU (Etudes en Groupe d’Architecture et d’Urbanisme) l’autre grande agence d’architecture liégeoise qui réalisa notamment l’ancienne gare des Guillemins.
Un autre bâtiment intéressant de l’Exposition de 1939, conçu par Yvon Falise, André Kondracki, Hyacinthe Lhoest et Charles Carlier, c’est le Lido. Il se caractérise par une structure en métal et une partie vitrée face à laquelle est installé « Le plongeur » d’Idel Ianchelevici que l’on peut voir aujourd’hui au port de plaisance, en face de l’Évêché.
L’exposition est également l’occasion de doter la ville d’infrastructures pérennes. Il s’agit du bâtiment bien connu des Liégeois sous le nom de « La Patinoire » réalisé Jean Moutschen et dont plusieurs avant-projets sont élaborés avec Joseph Moutschen. On retrouve dans ce bâtiment la volonté d’intégrer des œuvres d’arts avec notamment le monumental bas-relief d’Adolphe Wansart qui se situe à l’entrée. Ce bâtiment est aujourd’hui abandonné.
Et puis, s’il ne fallait qu’en garder un à Coronmeuse, ce serait celui qui se trouve près de la piste d’athlétisme et de la plaine de jeu du parc Astrid. Le Groupe L’Équerre a essayé de mettre là en œuvre, non sans difficultés, ses convictions. Car jusque au moment de l’Exposition de l’Eau, L’Équerre est d’abord une revue de propagande, qui n’arrive pas à dépasser le champ théorique pour concrétiser ses projets. Ici, grâce à Georges Truffaut et à Yvon Falise, les architectes de L’Équerre parviennent à réaliser ce bâtiment qui s’inscrit dans toutes les convictions modernistes de l’époque et qui reprend les cinq points caractérisant l’architecture moderne tels que définis par Le Corbusier en 1927, à savoir: les piliers, la toiture-terrasse, le plan libre (suppression des murs et refends porteurs), les fenêtres bandeaux et la façade libre. C’est un bâtiment qui est publié dans toutes les revues internationales, dans tous les recueils d’architecture jusqu’aux années 60, et considéré comme une prouesse en matière d’architecture moderne.
Pour terminer, il faut évoquer un bâtiment qui certes répond à des enjeux classiques et formels, mais qui répond aussi à une réelle nécessité sociale : la halte, la crèche où on pouvait déposer les enfants pendant la visite de l’Exposition de l’Eau, un bâtiment toujours fonctionnel aujourd’hui malgré son état.
Je vous remercie.
Séance de questions et réponses
N. : Quel est le sort futur de la patinoire, de son bas-relief et du bâtiment du parc Astrid ?
Sébastien Charlier : Aujourd’hui, il y a un dialogue compétitif, une espèce de concours pour l’espace Coronmeuse, mais je n’en connais pas les détails. Il faut savoir que ni la plaine de jeu « Reine Astrid », ni la patinoire ne sont protégées. Ce sont des bâtiments dont la réhabilitation n’est pas prioritaire. En termes de rénovation et d’affectation ultérieure la situation de deux sites est cependant différente.
Robert Neuray : Le bâtiment de la patinoire est un bâtiment qui fait partie de l’histoire liégeoise et il faut donc le conserver. Sur le plan mémoriel, c’est quelque chose qui est enraciné chez les liégeois. L’abandonner, c’est une honte. On peut regretter ce qui s’est passé avec la façade de la populaire, mais cela, c’est une autre histoire.
Madeleine Mairlot : Je suis d’accord avec Robert. En 2010, j’ai rédigé une demande de classement. Des experts de la Commission royale sont venus. Je ne sais pas où en est le dossier, il dort quelque part. Mais, il y a des choses à faire dans la perspective d’une réaffectation. Au moins que l’on se donne les chances de pouvoir le faire. C’est une question de politique citadine et citoyenne.
N. : Il y a deux choses. Au niveau de la Commission des monuments et sites, le dossier a été vu. Je ne suis pas à la Régionale, je ne suis qu’à la Provinciale, donc je ne peux pas indiquer pourquoi le dossier n’a pas été plus haut. Peut-être le dossier était-il top ambitieux, classé tout le site, c’est peut-être beaucoup. On a tous lu dans la presse le projet des nouveaux grands quartiers. La question du classement est toujours extrêmement délicate parce que l’on ne peut figer tout un quartier dans le passé. On peut espérer que les grands projets de réaffections, les grands projets immobiliers qui sont en train de se développer pourront peut-être sauver quelque chose. Mais c’est en revenant vivre près des bâtiments qu’on peut les sauver. Et pour la patinoire, c’est méchamment compliqué.
Philippe Raxhon : Les questions ayant rapidement fusé, je n’ai pas eu l’occasion de féliciter Sébastien Charlier pour son exposé extrêmement clair et passionnant. Quand un historien de l’art parle d’architecture, il y a une coloration tout-à-fait particulière. Il nous a fait entrer dans l’architecture de l’avant-guerre. Et les premières interventions ont montré que le temps remontait toujours à la surface. Dans les années trente, nous avons un Échevin des travaux publics qui a un sens politique aigu. Nul doute qu’il s’est interrogé sur l’image que ces grands travaux allaient donner à la Ville de Liège. Est-ce que l’on trouve trace d’une réflexion de cette nature, particulièrement par rapport à un art qui se développait dans les totalitarismes ? Je pense au fascisme italien, je pense à l’Union Soviétique. Est-ce que chez Truffaut, il y a une dimension de réflexion politique à l’heure de donner un visage nouveau à la Ville de Liège ?
Sébastien Carlier : Je n’ai pas trouvé dans la presse spécialisée en architecture ou urbanisme d’indications à ce propos. Cependant à propos des liaisons entre totalitarisme et architecture, je voudrais apporter un complément. Je ne l’ai pas dit parce que c’est toujours un petit peu triste, mais Yvon Falise, fondateur de « L’Équerre », directeur en chef de l’architecture de l’exposition de 39, sera nommé Échevin des travaux par les Allemands, lorsqu’ils vont mettre en place la structure administrative du « Gross Lüttich ». Yvon Falise va se tourner du mauvais côté et il en paiera le prix, puisque au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, il sera emprisonné pendant 9 ans.
A noter que dans la revue L’Équerre, on ne trouve pas de discours en faveur de l’une ou l’autre thèse, mais l’on peut avoir des indications. Cette revue est déjà un objet historique à part entière et les archives du bureau éditorial de L’Équerre sont conservées à Los Angeles. J’ai eu l’occasion de les analyser. Dans les lettres qui s’échangent entre l’équipe de L’Équerre et les architectes internationaux et notamment le Corbusier ou Alberto Sartoris , on sent une critique perpétuelle des gouvernements. On y sent aussi la demande de disposer d’un pouvoir fort pour appliquer les grands principes de l’architecture moderne, qui vont au-delà de l’architecture, des principes urbains, qui demandent même que l’on rase des villes. On est un peu dans la même perspective, mais sans mauvaise comparaison, lorsque Jean Lejeune, qui sera Échevin par la suite, mène une politique de la ville très fonctionnaliste, où l’on fait rentrer des autoroutes, où l’on construit des grands bâtiments administratif. Il y a cette volonté que l’on ressent dans les courriers de l’avant-garde architecturale. Est-ce que cela mènera jusqu’à des inclinations vers des courants politiques quels qu’ils soient ? Je ne peux pas le dire ; cela n’a jamais été formalisé.
Jean-Pierre Hupkens, Echevin de la culture de Liège : Je voudrais intervenir brièvement pour ne pas que l’on pense que j’évite le débat sur la conservation des bâtiments de Coromeuse. Je dois rappeler qu’une des pierres angulaires du dialogue compétitif est une stricte confidentialité. Donc n’interprétez pas autrement mon silence.
N. : Quel est le devenir des différentes éléments patrimoniaux du lycée de Waha, classés ou non classés, que ce soit la piscine, la salle de spectacle, les fresques, etc. ?
Rudy Creten, préfet de l’Athénée Léonie de Waha : La salle des fêtes a été désamiantée. Il s’agit de la première étape, la suivante semble stagner. La Région wallonne a cependant signé le document d’accord pour la rénovation de la piscine que l’on n’attendait pas. La restauration devrait être complète. Le problème est qu’au même moment, la restauration d’une piscine à Jonfosse a été décidée. Maintenant, on a donc une restauration de deux piscines proches l’une de l’autre et la rénovation de la piscine de Waha semble donc moins urgente. Moralité : on a bloqué le dossier de la salle des fêtes pour privilégier la piscine et maintenant on nous apprend que l’on ne peut avoir deux piscines sur le même territoire. Donc, tout est bloqué à la fois la piscine et la salle des fêtes. A noter cependant que les peintures de la salle des fêtes devraient être restaurées. Le bâtiment est tellement gigantesque et les œuvres tellement nombreuses qu’il faudrait en fait un grand mécénat.
Robert Neuray : Je voudrais rappeler que je suis allé à l’Exposition de l’Eau et que cela est resté gravé dans ma mémoire. Il s’agissait d’une réalisation étonnante et le nom de Georges Truffaut est resté dans la souvenir de tous. On est absolument émerveillé de voir que l’on ait pu réaliser de telles choses. Et la continuité de cet élan liégeois, c’est quand même aussi le parc de la Boverie avec la restauration du Musée et la passerelle. Nous avons donc des potentialités qui nous permettent d’espérer pour demain.
Philippe Raxhon : C’est bien de clôturer sur cette dernière intervention optimiste et chaleureuse.
Notes
[1] « M. Georges Truffaut » dans 7 Arts, n° 6, 11 décembre 1927, p. 3.
[2] Pour une biographie complète de Joseph Moutschen, voir CAPRASSE, Coline, Jean et Joseph Moutschen, architectes modernistes liégeois, mémoire de master en histoire de l’art et archéologie, Université de Liège, 2013-2014, p. 7.
[3] GILLAIN, O., « Vers une meilleure acoustique, trois cinémas populaires : trois étapes » dans Bâtir, n° 32, juillet 1935, p. 269-275.
[4] Pour une analyse complète de la revue, voir CHARLIER, Sébastien (dir.), L’Équerre, réédition intégrale – The Complete Edition 1928-1939, Liège, Fourre-tout éditions, 2012.
[5] CHARLIER, Sébastien et MOOR, Thomas (dir.), Guide architecture moderne et contemporaine 1895- 1914, Liège, Bruxelles, Mardaga-Cellule architecture de la Fédération Wallonie-Bruxelles, 2014, p. 244.
[6] Voir notamment Linze, Georges, «Ville de Liège. Lycée pour jeunes filles et groupe scolaire de Saint-Gilles» dans L’Équerre, n° 8, Liège, septembre 1936, p.2-3 ; FLOUQUET, Pierre-Louis, «Le lycée Léonie de Waha à Liège» dans Bâtir, n° 74, Bruxelles, janvier 1939, p.10-15 ; MIRKINE, M., «L’équipement du Lycée Léonie de Waha à Liège» dans L’ossature métallique, n° 4, avril 1939, p.165-173 ;NOVGORODSKY, L. de, «Le lycée pour jeunes filles Léonie de Waha, à Liège» dans La Technique des travaux, n° 12, Liège, décembre 1939, p.625-639 ;
[7] Sur le Val Benoît, voir notamment BLANJEAN, Donatienne, Les instituts de la faculté des Sciences Appliquées de l’Université de Liège au ValBenoît : architecture caractéristique des années 30, mémoire en histoire de l’art et archéologie, Université catholique de Louvain, 1990.
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