Il y a trente ans, le 18 juillet 1991, André Cools tombait sous les balles de deux tueurs. Bien des années plus tard, et au terme d’une enquête passablement chaotique, on finira par savoir que l’assassinat avait été commandité par une bande criminelle, qui était parvenue à s’infiltrer dans un cabinet politique : celui du successeur d’André Cools au gouvernement wallon. Les assassins y avaient organisé leurs trafics, rackets et vols de titres, mais ils vivaient dans la crainte qu’André Cools les démasque.
L’émotion fut immense, à la mesure du crime, mais aussi de la personnalité de la victime. On lui fit des funérailles nationales, qui l’auraient sans doute fait sourire. Puis, on dispersa ses cendres…
Mais la mémoire de cette vie ne peut se laisser disperser. Par la cohérence de son parcours politique et de ses engagements, André Cools demeure l’une des figures majeures du socialisme dans notre pays. Ses combats – contre les inégalités, pour le bien commun, l’initiative publique, le fédéralisme… – n’ont rien perdu de leur actualité. Il a contribué à façonner notre histoire, celle des socialistes, et celle de la Wallonie.
Une enfance ouvrière
C’est à Flémalle, au cœur du bassin industriel liégeois que André Cools est né, le 1er août 1927. Les origines de la famille sont flamandes : « Je suis un petit fils d’immigrés, aimait dire André Cools. C’étaient les travailleurs flamands, chassés par la misère. Mon grand père est descendu dans la mine dès l’âge de quatorze ans »(1). Il était plutôt anarchiste, le grand père, et syndicaliste passionné. Sa militance lui vaudra de multiples condamnations, il sera même, un moment, privé de droit de vote. Son fils, Marcel, s’inscrit quant à lui au Parti Ouvrier Belge.
A Flémalle, il gère le lieu le plus emblématique de la commune : la Maison du Peuple, où la famille emménage. Marcel Cools est bientôt élu au conseil communal, où il exercera le mandat de premier échevin.
Dans la famille Cools, on partage les premiers plats de spaghetti avec les immigrés italiens : des réfugiés antifascistes qui ont fui le régime de Mussolini. On parle beaucoup de politique, et on combat les partisans wallons du fascisme : les rexistes. En 1942, c’est l’un d’entre eux qui dénoncera le père d’André Cools aux Allemands.
Condamné pour fait de résistance, Marcel Cools est déporté à Mauthausen, où il meurt quelques mois plus tard : une tragédie qui marquera profondément André Cools. Dans un milieu où la solidarité n’est pas un vain mot, les anciens compagnons de lutte du père prennent en charge la famille, et l’éducation du jeune André. Il ne va pas tarder à marcher dans les traces de son père : à la Libération, il adhère au Parti Socialiste Belge.
En 1945, il participe au Congrès National Wallon, où 1.500 délégués vont voter « sentimentalement » pour le rattachement de la Wallonie à la France, avant de revoter « raisonnablement » pour l’autonomie de la Wallonie dans une Belgique fédérale. Un élément fort et structurant de son engagement politique se dessine déjà…
Sur le plan privé, celui que l’on surnommait à Flémalle « Errol Flynn », du nom d’un grand séducteur du cinéma américain, choisit d’épouser Thérèse, une jeune enseignante de la commune. Ils auront deux enfants : Marcel et Christine. André Cools engage des études de médecine, puis de droit. Mais la politique l’absorbe de plus en plus, et ne lui laisse déjà plus le temps nécessaire aux études.
1958 est une année d’élection. André Cools vient d’avoir trente et un an : il se présente comme candidat dans son arrondissement. C’est un succès : il est élu député. Il le restera pendant plus de trente ans.
Le déclin économique wallon
Les années cinquante sont encore une période faste pour la Belgique. On affiche une image de bien être, et de prospérité, dont l’Exposition universelle, à Bruxelles, sera le symbole. On veut croire au progrès, et aux bienfaits de la société de consommation. La Wallonie est toujours la région la plus riche du pays, mais plus pour longtemps. Les premiers signes de déclin commencent à apparaître : les charbonnages ferment leurs portes. L’Etat belge et la toute puissante Société Générale ne font pas grand chose pour assurer la reconversion en Wallonie : les gros investissements en infrastructures publiques sont systématiquement orientés vers la Flandre, dont il s’agit d’assurer l’émergence en région industrielle de pointe. Certes, la sidérurgie wallonne tient bon, et continue de réaliser de solides bénéfices, mais la plus value produite par les travailleurs wallons sert surtout à construire, en Flandre, un nouveau pôle de l’acier, moderne et performant. Les « trente glorieuses », ainsi que l’on qualifiera – plus tard- cette époque, ont donc eu très tôt un goût amer pour la Wallonie. Les travailleurs s’y sentent abandonnés par le Capital, et par l’Etat unitaire où la domination flamande est de plus en plus palpable. Les luttes sociales, dans ces années là, sont intenses, et annoncent une crise de plus vaste ampleur.
Elle éclate à l’hiver 60, contre une loi d’austérité, la « loi unique », votée à l’initiative d’un gouvernement de coalition sociale chrétienne et libérale. Un mouvement de grève, parti de la base, paralyse bientôt la Wallonie : même les hauts fourneaux sont à l’arrêt. La grève s’étend aussi en Flandre, mais l’église la condamne, et les syndicats chrétiens se retirent.
La direction du PSB hésite, face à un mouvement dont elle n’a pas pris l’initiative, et qui se radicalise, jusqu’à prendre, parfois, un tour insurrectionnel. Le jeune député Cools, par contre, est de ceux qui soutiennent les grévistes, et s’engagent à leurs côtés. Il y côtoie celui que l’on appelle alors « l’homme fort » de la Wallonie : André Renard, qui dirige la puissante FGTB liégeoise, et dont la popularité est immense. Depuis plusieurs années déjà, André Renard attirait l’attention sur le déclin qui menaçait la région wallonne. Il défend désormais un programme radical, et ambitieux : le fédéralisme, pour permettre à la Wallonie de prendre son destin en mains, et les réformes de structure, pour assurer, par l’initiative publique, le redéploiement économique de la région.
André Renard mourra quelques années plus tard, mais il fut un précurseur, dont André Cools a toujours salué la mémoire. « André Renard, confiait-il ainsi lors d’une interview, a été à la base de la liaison entre l’analyse de la situation économique et sociale de la Wallonie, et la régionalisation, en en faisant un moyen de mieux répondre aux problèmes économiques ».(2)
La nécessité de ce lien entre un projet de société, et les voies particulières qu’il lui fallait emprunter dans le contexte politique et institutionnel de la Belgique, va demeurer, désormais, une constante dans l’action politique d’André Cools, même s’il lui faudra la repenser et l’infléchir sans cesse, au gré des mutations économiques et sociales des décennies à venir.
Le député rebelle
Mais en attendant, la grève de l’hiver 60 a clairement placé André Cools à la gauche de son parti, et cette position va s’avérer difficile. La grève s’arrête en janvier 1961. C’est un échec. Les Belges sont appelés aux urnes. Il faut calmer le jeu : c’est ce que pense, aussi, la direction du PSB.
Au sortir des élections, une nouvelle coalition se met en place. Les socialistes ont accepté de s’allier aux inamovibles sociaux chrétiens pour former un gouvernement, dit « Lefèvre-Spaak », Il appellera bientôt à voter une loi sur le maintien de l’ordre, pour éviter le retour aux « excès » des mois précédents. Un tournant qu’André Cools n’apprécie guère, c’est le moins que l’on puisse en dire. « Le vrai recul du socialisme, dira-t-il plus tard, date du gouvernement Lefèvre-Spaak. Et je n’en faisais pas partie. On a commis bien des erreurs. Et ce fut une défaite ».(3)
Une douzaine de députés de la gauche wallonne choisissent pourtant de résister au courant. André Cools en fait partie, aux côtés de ses amis Freddy Terwagne et Joseph Merlot. La direction ne voit pas d’un bon œil ces députés rebelles qui, à plusieurs reprises, refusent de se plier aux consignes. Surtout lorsqu’il s’agira de voter les lois sur le maintien de l’ordre : les députés sont alors publiquement blâmés par leur propre parti. On a, dit-on, frôlé l’exclusion. André Cools commentera plus tard, laconiquement : « Lorsque nous avons été rebelles, nous avons accepté d’être sanctionnés. C’était la règle. Mais nous nous sommes battus au sein du parti pour le faire changer. Et si je regarde tous les combats que nous avons menés, je crois que nous l’avons fait changer ».(4)
Une autre constante de son action politique se dévoile ici : la fidélité à son parti (sans lequel, dira-t-il souvent, il n’aurait rien été), mais une fidélité critique et combattive. Les rebelles vont ainsi commencer par mener la bataille des idées. Et comme ils n’en manquent pas, ils les font passer, une à une, dans le programme de leur parti : l’autogestion et l’initiative industrielle publique pour faire contrepoids aux holdings, la régionalisation pour assurer le redéploiement économique de la Wallonie, le rassemblement des progressistes, pour faire face au grand parti conservateur que d’aucuns cherchent à mettre en place.
André Cools est sur tous les fronts : dans les congrès du parti, au parlement, et aussi, désormais, dans sa commune, dont il devient bourgmestre en 1965. Une fonction qu’il exercera jusqu’à sa mort, sauf lorsque des responsabilités ministérielles l’obligeront à s’y faire provisoirement remplacer.
Flémalle
C’est le début d’une longue histoire d’amour, entre André Cools et les Flémallois. Son attachement à la commune est d’abord sentimental : il est né à Flémalle, il y a accompagné son père, premier échevin, puis bourgmestre faisant fonction, dans tous ses combats. Mais sa démarche est aussi politique. Pour André Cools, la commune est la cellule de base de la démocratie : c’est là que l’on peut gérer les questions qui touchent au plus près, dans leur quotidienneté, à la vie des gens. Le nouveau bourgmestre s’installe donc, et pour un quart de siècle, au Château de Flémalle, siège de l’administration communale. On le surnommera vite le « Maître de Flémalle » référence gouailleuse à un grand peintre (flamand…) du 16ème siècle.
La commune a des atouts, qu’André Cools entend bien faire valoir. Il y met en place des pôles de développement économique et social, et ce, jusqu’au soir de sa vie, avec la création de Flémalle Invest. Il s’y occupe de culture : à ses yeux l’un des meilleurs moyens, pour les travailleurs de « ne pas tomber dans tous les pièges du système capitaliste, la fausse consommation, la fausse culture, l’individualisme exacerbé »(5). Il posera lui même la première pierre d’un Centre Culturel et sportif. Il créera, sur la propriété de la Châtaigneraie, un Centre wallon d’art contemporain devenu aujourd’hui un lieu majeur de la vie artistique. Il contribuera enfin largement au lancement du Préhistosite, le Musée de la préhistoire en Wallonie. La culture et l’éducation permanente, pour tisser sans cesse du lien social : c’était, aussi, l’un de ses thèmes majeurs.
Si Flémalle est désormais son bastion, sa popularité s’étend bien au delà. Sa relative marginalisation dans l’appareil du parti ne lui fait pas d’ombre. Ce serait même le contraire, semble-t-il : ses performances électorales en témoignent. C’est un orateur apprécié, un tribun à la voix rocailleuse, qui sait trouver les mots pour s’adresser à tous. C’est aussi un responsable politique au sens fort du terme, qui connaît et suit ses dossiers. Certes, l’homme est passionné, donc impétueux. Si sa gouaille est proverbiale, ses colères, dit-on, sont redoutables. Il peut se montrer rude, et parfois cinglant, mais il sait surtout charmer et séduire : autant de qualités (et parfois de défauts) qui lui serviront beaucoup dans l’art subtil de la négociation, et aussi dans celui de s’entourer de collaborateurs et d’amis fidèles.
C’est ainsi qu’il traverse, à grandes enjambées, les années soixante. En 1966, il assiste au retour de son parti dans l’opposition, sans trop le regretter, on l’aura compris. Un gouvernement de droite, dit « Vanden Boeynants-De Clerck », se met en place, associant les libéraux aux sociaux chrétiens, décidément indéboulonnables (à l’époque…). Il tiendra deux ans, avant de « tomber » sur l’affaire de Louvain, la scission de la vieille université, dont les francophones sont expulsés, au nom d’un mot d’ordre : Walen buiten ! De quoi affermir les régionalistes wallons dans leurs convictions : si l’on veut continuer d’assurer la coexistence, en Belgique, des deux principales communautés, l’état unitaire n’est décidément plus le cadre adéquat.
On vote, et on en revient à la coalition des sociaux chrétiens et des socialistes. Le Premier Ministre en sera Gaston Eyskens, celui-là même qui exerçait la fonction à l’hiver 60. Mais la surprise est de retrouver, à ses côtés, en tant que ministre du budget et vice premier ministre… André Cools. Il n’aura pas fallu dix ans au député rebelle pour accéder au pouvoir.
Le Vice Premier Ministre
Cette nouvelle étape, décisive, de son parcours politique, André Cools la vit, d’abord, comme une revanche personnelle dans son histoire familiale. Il le confiera, plus tard : « Quand je suis entré au Palais royal, je me suis dit : voilà, je vais venger mon grand père. Il avait subi tellement de condamnations au nom du roi ! On lui devait bien ça ».(6)
Mais il y a bien sûr, plus que cela. Depuis une dizaine d’années, les « problèmes communautaires », comme l’on disait à l’époque, n’ont cessé d’empoisonner le climat politique. Avant même le Walen buiten lancé à Louvain, il y avait eu les marches houleuses organisées par les nationalistes flamands à Bruxelles, au nom d’un « Brussel Vlaams » encore plus virulent. Un mouvement nationaliste s’est structuré en Flandre, à travers tout un réseau d’associations, de cercles culturels et de mouvements de jeunesse. Il a des relais politiques dans un nouveau parti –la Volksunie– mais il se fait aussi entendre dans les partis traditionnels, surtout chez les sociaux chrétiens flamands du CVP. En Wallonie, un parti régionaliste, le Rassemblement wallon, est entré dans le jeu politique en 1968, tandis qu’à Bruxelles un Front des Francophones s’est mis en place, pour contrer la volonté de « flamandiser » une capitale où les francophones sont largement majoritaires. Manifestement, la Belgique unitaire, avec ses grands piliers traditionnels (social chrétien, socialiste et libéral) est en train de craquer. Il faut en sortir, réformer l’état. C’est pour cela que les socialistes sont revenus au pouvoir.
Mais la tâche s’annonce compliquée car, des deux côtés de la frontière linguistique, on n’a pas du tout la même vision des réformes à entreprendre. Les Flamands revendiquent un fédéralisme basé sur les deux grandes communautés linguistiques, qui auraient à gérer des matières essentiellement « personnelles » : l’enseignement, la culture, à quoi d’aucuns ajoutent, déjà, la santé. Du côté wallon, la vision du fédéralisme est avant tout sociale et économique. La régionalisation du pays doit permettre à la Wallonie d’assurer son redéploiement, par des politiques d’initiative publique que l’on réclame, en vain, depuis plus de dix ans. André Cools est acquis depuis longtemps à ce programme. Avec les anciens députés rebelles, ils ont fini par le faire admettre à leur parti, lors d’un congrès tenu à Verviers. Ce programme implique la création de trois régions : la Flandre, la Wallonie, et Bruxelles. André Cools entend tenir bon sur ce dernier point, tout en sachant qu’il y a là une pomme de discorde supplémentaire : du côté flamand, on ne veut pas entendre parler d’une région bruxelloise, la capitale étant appelée à être cogérée par les deux grandes communautés, au mépris de sa spécificité régionale.
De vastes négociations « communautaires » s’engagent : les premières dans l’histoire du pays… André Cools est à la manœuvre, face à un premier ministre, Gaston Eyskens, qu’il a rudement combattu dix ans plus tôt. Et, contre toute attente, le courant passe entre les deux hommes. L’attelage improbable fonctionne, un accord est conclu. Accord « à la belge » : on mettra en place, à la fois, les deux communautés (trois, en y ajoutant la petite communauté germanophone) et les trois régions.
Reste à faire voter l’accord au Parlement. Et c’est là que la machine va s’enrayer : le Parlement votera la mise en place des communautés, mais pas celle des régions. Le prétexte de la rupture ? Les Fourons : une demi douzaine de villages, à vingt kilomètres de Liège, quatre mille habitants à peine. En 1962, lorsque l’on avait fixé la « frontière linguistique », les Fouronnais avaient découvert qu’ils étaient devenus Flamands : leurs villages, qui faisaient partie de la province de Liège avaient été, sous la pression flamande, rattachés à la province du Limbourg. Cette situation, les Fouronnais ne l’acceptaient pas. Ils ne cessaient de réclamer le retour à Liège, et l’accord gouvernemental prévoyait de leur donner une satisfaction partielle, avec un statut spécial. Au parlement, du côté flamand, ce sera « non », et dans toutes les langues…
Gaston Eyskens est désavoué par son propre parti : le gouvernement tombe, et ne se relèvera plus. Une éphémère coalition tripartite se met en place, emmenée par un socialiste : Edmond Leburton. Elle ne tiendra qu’un an. André Cools n’a pas voulu en être. C’est qu’il n’apprécie guère Edmond Leburton, qui, quoique socialiste et wallon, reste à ses yeux un unitariste, une espèce qu’il doit ranger quelque part entre les diplodocus et les iguanodons.
André Cools, lui, avait joué le jeu. Au gouvernement, il était allé jusqu’au bout des négociations, avec un sens de la diplomatie qu’on ne lui connaissait pas. Il avait trouvé, en Gaston Eyskens, un partenaire loyal, qu’il n’hésitera pas à saluer dans une interview au journal La Wallonie, où, après avoir chaudement défendu le bilan social de son gouvernement, il ajoute « Ce que j’ai à dire sur le plan personnel, c’est que, travaillant avec Monsieur Eyskens, j’ai pu constater sa parfaite loyauté, et le respect permanent qu’il accorde au contrat signé entre deux partis et, j’ose le dire, entre deux communautés ».(7)
Tout cela, en vain. Il ne peut que prendre acte du fait que le CVP est, décidément, comme il le dira, « un drôle de machin ».
Gaston Eyskens quitte la vie politique, et André Cools, le gouvernement. Mais, lui, c’est pour mieux rebondir…
Le Président
En 1973, sous les ovations de ses camarades, André Cools est élu président du PSB, aux côtés de Karel Van Miert, pour l’aile flamande du parti, qui est encore unitaire, mais plus pour longtemps. Il entend, avant tout, promouvoir, en interne, la culture du débat : « Aujourd’hui comme hier, le PSB fonde son action sur le fonctionnement dynamique des sections locales, où chacun, dans son quartier, son village ou sa commune, a le droit de dire ce qu’il pense, ce qu’il approuve, ce qu’il critique, ce qu’il propose… S’exprimer et permettre à chacun de le faire : telle a toujours été, pour moi, la ligne de force de l’action socialiste dans le cadre et le respect des décisions prises par les Congrès. Action des uns, action des autres, action de tous. Pas de vedettes ni de figurants : unis dans la même structure de combat, des hommes et des femmes qui, dans le film de leur lutte, ne voient jamais apparaître le mot « fin ».(8)
Le ton est donné. Il est offensif, et il va le rester. Les socialistes repartent en campagne, pour les élections législatives, sous un nouvel emblème : un poing, serré sur une rose. André Cools veut relancer la dynamique du rassemblement des progressistes, initiée, quelques années plus tôt, par son prédécesseur Léo Collard : « Notre effort, écrit-il, doit porter sur les travailleurs chrétiens ».(9). C’est que, dans les milieux libéraux et sociaux chrétiens, d’aucuns s’efforcent de mettre en place un grand parti conservateur, à vocation majoritaire : les socialistes ne peuvent assister passivement à cette tentative de les minoriser dans le champ politique.
Le PSB sort vainqueur des élections en Wallonie, mais il s’effondre en Flandre, et se voit relégué dans l’opposition, face à une majorité de droite. La situation ne gène pas André Cools, au contraire, elle ravive même sa verve. Il faut, estime-t-il, en profiter pour approfondir le programme, et la stratégie du parti. Aux Assises socialistes de Marcinelle, il propose, clairement, un virage à gauche : « Socialisation, planification, autogestion : tels sont les trois principes de base des réformes de structure nécessaires, afin que l’activité productrice soit orientée en fonction de l’intérêt général et de l’utilité sociale. Les principes de réformes dont nous exigeons l’application immédiate afin de sortir de la crise actuelle et afin de l’empêcher de se renouveler ».(10) Aux partisans d’un bloc des droites sur lequel commence à flotter, déjà, un parfum de néolibéralisme, il lance : « La droite : ils défendent les libertés, disent-ils. Quelles libertés ? Les leurs. La liberté d’exploiter les travailleurs ! La liberté de piller les richesses, de polluer l’air et l’eau de tous »(11).
Un tel tournant à gauche est certes dans l’air du temps, après Mai 68, on l’observe d’ailleurs dans la plupart des partis socialistes en Europe. Mais en Belgique, il répond aussi à une exigence plus spécifique : le déclin de la Wallonie. Depuis une dizaine d’années, les courbes de croissance entre la Flandre et la Wallonie se sont croisées. En termes de PIB par habitant, la Flandre est désormais la plus riche, et l’écart ne cesse de se creuser, au gré des politiques économique et financière d’un Etat belge verrouillé par le tout puissant CVP. Il faut relancer la régionalisation. D’urgence : chaque année qui passe est une année perdue pour la Wallonie. Mais il faut pour cela, construire des alliances, et trouver un partenaire pour une nouvelle négociation. André Cools guette la première occasion favorable.
L’internationale
En même temps, la présidence du parti lui permet d’acquérir une stature nouvelle, internationale. Depuis son plus jeune âge et les soirées fraternellement partagées, à Flémalle, avec les antifascistes italiens et les antifranquistes espagnols, l’internationalisme faisait partie de sa culture politique, avec des valeurs fortes d’accueil et de solidarité. Il s’active pour relancer l’Internationale socialiste. Il y côtoie les grandes figures de l’époque : François Mitterrand, Willy Brandt, Mario Soares, Olof Palme, Izhak Rabin, Bettino Craxi. Il se passionne pour les efforts tentés, en URSS, afin de sortir le pays de la glaciation communiste, pour la paix au Moyen Orient, pour le rapprochement des socialistes du nord et du sud de l’Europe. Il ne ménage pas sa solidarité avec les victimes des dictatures, comme le général Poblete, ancien aide de camp du président Allende, emprisonné et torturé dans les geôles de Pinochet. André Cools réussira à l’en faire sortir et à l’accueillir en Belgique, avec un statut de réfugié.
L’Internationale ne se réduisait pas pour lui à une chanson, même s’il aimait l’entonner et en citer les paroles, surtout celles du deuxième couplet :
Il n’est pas de sauveur suprême
Ni dieu, ni césar, ni tribun
Producteurs, sauvons nous nous-mêmes
Décrétons le salut commun
Une manière, à ses yeux, de se remettre à la bonne place, en tant que président du parti…
La région wallonne, enfin…
Les élections de 1977 sont une nouvelle victoire pour les socialistes, et aussi, à titre personnel, pour André Cools, qui recueille plus de 30.000 voix dans son arrondissement. Le PSB-BSP est appelé à constituer une nouvelle majorité politique, aux côtés des sociaux chrétiens, et de deux partis communautaires : la Volksunie, côté flamand, et le FDF côté francophone. André Cools accepte, à une condition : la mise en place des régions. On sait que, du côté flamand, on bloque toujours sur la région bruxelloise…
Des négociations s’engagent, au palais d’Egmont. Elles seront longues, et harassantes. Des soirées y passent, et parfois, des nuits entières. André Cools est à la manœuvre, avec une résistance physique et mentale peu commune. Cela va durer des mois, presqu’un an. Jusqu’à la conclusion du « pacte d’Egmont-Stuyvenberg ». Les négociateurs se sont accordés sur la mise en place des régions, sur Bruxelles, et sa périphérie, sur les communes à facilités. André Cools signe le pacte, il a le sourire. Mais pas pour longtemps…
En Flandre, en effet, le pacte ne passe pas. Et le scénario joué dix ans plus tôt se répète. Les leaders du mouvement flamand refusent les concessions faites aux francophones. La presse flamande entre en campagne. On défile, on manifeste, on chante le Vlaams Leuw dans les rues de Bruxelles. Jusqu’au final, stupéfiant : Léo Tindemans saborde son propre gouvernement, en pleine séance de la Chambre, pas fâché en fait de se débarrasser d’un accord auquel il n’avait jamais adhéré.
On dit que la colère d’André Cools fut terrible. Pour Léo Tindemans, il n’aura plus, désormais, qu’un mépris glacial…
L’après Egmont est chaotique. Les gouvernements se succèdent, et tombent au bout de quelques mois. Mais ils sont emmenés, pour le CVP, par un homme différent, loyal dans la négociation et fédéraliste convaincu : Wilfried Martens, qui deviendra le premier ministre quasi inamovible de la décennie suivante. Les socialistes, André Cools en tête, retournent au charbon, pour la troisième fois. Et ce sera la bonne. La régionalisation sort enfin des limbes, au moins pour la Flandre et la Wallonie, même si Bruxelles reste, comme on le disait alors, au frigo.
Un grand pas est franchi, et André Cools peut s’en féliciter : « Le parti a œuvré pour la régionalisation. Je n’ai pas trahi les combats de 1960 ».(12)
Mais l’affaire a laissé des traces. Pendant les négociations d’Egmont, les socialistes wallons et flamands se sont parfois opposés : les deux ailes du parti vont à présent se séparer. André Cools en prend acte, mais il est amer : « Quand Wallons et Bruxellois disaient non à Tindemans et aux ultras du CVP, les socialistes flamands ne voulaient faire aucune peine aussi légère soit-elle, à ce même Léo Tindemans et au même CVP. L’unité du PSB-BSP n’existait plus ».(13) Mais en même temps, et pour qu’il n’y ait pas le moindre doute quant à l’internationalisme et à la solidarité socialiste auxquels il demeure viscéralement attaché, il précisera, lors du Congrès constitutif du nouveau PS « Je serai toujours plus proche d’un docker anversois que d’un bourgeois de Charleroi ». A bon entendeur….
La région wallonne, par contre, existe désormais, avec des compétences, et des moyens réels. Mais la situation économique, en Wallonie, est de plus en plus inquiétante. Au moment où le monde occidental aborde les années 80, la décennie folle de l’argent-roi, de la dérégulation, et du culte du profit, la Wallonie est en position de faiblesse. Le chemin du redressement s’annonce rude. Il va falloir prendre des responsabilités difficiles. André Cools en est tout à fait conscient.
La fin de la présidence
« Nous régionaliserons pour être d’avantage responsables : responsables de notre avenir, nous wallons, responsables de notre effort, responsables de notre solidarité »(14 )
Ce genre de phrase, André Cools va désormais les répéter comme un mantra. Mais il n’est pas vraiment compris. Ses propos passent mal, dans le monde syndical, d’abord, vent debout face aux politiques de rigueur et d’austérité néo libérales. A la fin des années 70, André Cools avait encore pu négocier patiemment, avec les syndicats, les délicates restructurations de la sidérurgie wallonne. Les discussions avaient été rudes, mais elles avaient débouché sur un accord. Mais en 1978, déjà, à l’occasion d’une grève dans une entreprise publique, l’Association liégeoise d’électricité, les rapports s’étaient tendus avec les syndicalistes de la FGTB. André Cools avait sévèrement critiqué le mouvement, qu’il estimait corporatiste, allant même jusqu’à approuver le licenciement de plusieurs délégués syndicaux. Trois ans plus tard, c’est la FGTB toute entière qui manifeste, à Bruxelles, contre un gouvernement alors soutenu par le parti socialiste. André Cools n’est plus parmi ceux qui portent les drapeaux rouges, il a même le sentiment qu’ils défilent contre lui.
A l’intérieur du parti, il doit aussi faire face à une double opposition : sur sa droite, celle de son vieil ennemi Edmond Leburton, et sur sa gauche, celle d’un courant, Tribune socialiste, animé entre autres par Ernest Glinne, un ancien rebelle, comme André Cools. Cette dernière opposition lui fait, bien sûr, beaucoup plus mal. A la présidence du parti, il est de plus en plus amer, et fatigué. Ses colères sont fréquentes. Il songe à démissionner, mais ses amis l’en dissuadent. En janvier 1981 pourtant, il n’y tient plus. Il jette l’éponge, et l’annonce par une conférence de presse, non sans un brin de provocation goguenarde, « Quand on part assez tôt, on a encore un peu de chance d’entendre dire du bien de soi ». Puis, il enfonce le clou : « Je crois encore à la vieille formule de l’Internationale : « travailleurs, sauvons nous nous mêmes ». D’où ma théorie de l’effort, de la solidarité, et de la responsabilité. Il faut que je le dise en ce moment, pour ne pas qu’il y ait de confusion sur ce qui fut, qui reste, et restera mon combat ».(15)
Pour sa succession, il soutient la candidature de Guy Spitaels, un universitaire brillant, professeur à l’ULB. Guy Spitaels sera élu, mais d’une courte tête, face à Ernest Glinne. Une page se tourne. André Cools aura passé plus de huit années à la présidence du parti socialiste. Il la quitte avec plus d’amertume qu’il ne veut bien le reconnaître. Il cite Kipling « J’ai vu mes paroles agitées par des gueux pour exciter des sots »(16). Et pendant plusieurs semaines, il se cloître dans sa commune, à Flémalle.
Les années libérales
En 1981, les élections sont un échec pour les socialistes, qui sont rejetés dans l’opposition. Ils vont y rester sept années, le plus long purgatoire de leur histoire depuis la guerre. C’est le temps des gouvernements Martens-Gol, des coalitions social chrétiennes et libérales, où Margaret Thatcher et Ronald Reagan servent de référence. Des politiques néo libérales sont mises en œuvre à coups de pouvoirs spéciaux. Contre le chômage et l’austérité, grèves et manifestations se multiplient. Celle des sidérurgistes wallons, à Bruxelles, est restée dans les mémoires.
André Cools se retrouve en phase avec les combats des travailleurs. A la tribune de la Chambre, il dénonce rudement ceux qui, par leur politique de régression sociale, attisent sciemment l’angoisse et la colère dans le monde du travail.
Au sein de son parti, par contre, les relations restent tendues. A Liège, une nouvelle génération s’impose de plus en plus. On y retrouve des personnalités brillantes : Guy Mathot, à Seraing, Alain Van der Biest à Grace Hollogne, et Jean-Maurice Dehousse à Liège. Tous ont alors une quarantaine d’années, du talent, et de l’ambition. C’est André Cools qui les a convaincus d’entrer en politique, mais leurs chemins commencent à diverger. Chez les plus jeunes, le sentiment prévaut que les derniers mois d’André Cools à la présidence ont été un échec. Sa stratégie ne fait plus l’unanimité, on l’accuse de vouloir l’imposer à la hussarde, sans réel débat.
A cela s’ajoute l’arrivée d’un nouveau venu, parmi les socialistes liégeois : José Happart. Guy Spitaels a choisi de se rapprocher du bouillant leader de l’Action fouronnaise : il l’a convaincu de rallier le parti socialiste, et de lui apporter le renfort de sa popularité, qui est immense. José Happart n’est pas du sérail, mais il a sa propre histoire, et son expérience, dans le monde du syndicalisme agricole, et dans la défense des francophones, à Fourons. Il a, aussi, son propre agenda : le retour des Fourons à Liège est, pour lui, la priorité. Cela ne gène pas André Cools, surtout lorsqu’il voit défiler, à Fourons, des manifestations flamingantes violentes, encadrées par des groupes d’extrême droite. Mais, entre lui et José Happart, le courant ne passe pas : pour André Cools, le Fouronnais n’est pas un véritable socialiste, il n’entretient avec le parti qu’un rapport utilitaire, voire opportuniste. Et cela, à ses yeux, c’est inconcevable…
Le difficile retour des socialistes
En 1987, le dossier fouronnais, encore une fois, fait tomber un gouvernement : le dernier du tandem Martens-Gol. Les élections qui suivent sont un triomphe pour le Parti socialiste, désormais incontournable pour la constitution des nouvelles majorités.
En Wallonie, tout se passe très vite : le Parti socialiste prend la tête du gouvernement, et André Cools y retrouve un ministère, celui de l’économie. Il va pouvoir, enfin, prendre à bras le corps la problématique du redressement de la région : ce sera, confira-t-il plus tard, sa plus belle expérience. Elle se concrétisera, notamment, par un décret sur l’eau, qui reste un modèle dans la gestion par le politique, de ce que l’on appelle aujourd’hui les « communs » ces biens qui sont le patrimoine de tous.
Mais au fédéral, c’est nettement plus compliqué. Des négociations s’engagent, sous la houlette d’une nouvelle figure du CVP : Jean-Luc Dehaene. Il avait dit au roi : « Sire, donnez moi cent jours », il lui en faudra 148 pour aboutir à un accord. Le futur gouvernement prévoit d’avancer encore dans la voie du fédéralisme. Mais rien, par contre, pour les Fourons. Du côté des socialistes wallons, cela ne va pas de soi. Un groupe se constitue, fermement opposé au projet d’accord gouvernemental. On y retrouve José Happart, bien sûr, mais aussi d’autres personnalités du parti, dont Jean-Maurice Dehousse, et Jean-Claude Van Cauwenberghe, le bourgmestre de Charleroi. Dans chaque fédération, les socialistes sont appelés à se prononcer. A Liège, le 28 avril, 500 militants se réunissent à la Maison du Peuple de Grace-Hollogne. L’atmosphère est tendue, et de plus en plus houleuse. André Cools et Jean-Maurice Dehousse se succèdent à le tribune : le premier pour défendre l’accord, le second pour le mettre en pièces. Les débats vont durer des heures. Puis, on passe enfin au vote, et c’est le « non » qui l’emporte. André Cools est mis en minorité dans sa propre fédération. Il claque la porte, ulcéré. Le 1er mai suivant sera très agité : André Cools, à la tribune, est sifflé et hué par une partie des militants. Finalement, en dépit de l’opposition des fédérations de Liège et de Charleroi, la majorité du parti se prononcera en faveur de la participation des socialistes au gouvernement Dehaene. Mais les divisions sont désormais apparues au grand jour. A Liège, elles vont se poursuivre, avec, en toile de fond, un problème supplémentaire…
La crise à Liège
Les villes de Liège et, à un degré moindre, de Charleroi, sont lourdement endettées. La situation n’est pas nouvelle (elle remonte, en fait aux lendemains de la Seconde Guerre mondiale) et ses causes sont multiples. Mais, à Liège, la crise financière a pris des proportions dramatiques : la Ville est au bord de la faillite. André Cools, au gouvernement wallon, est chargé de la tutelle des villes et des communes. Il estime n’avoir plus le choix. Il décide de mettre en œuvre un plan d’assainissement draconien : réduction massive des dépenses, licenciement d’une partie du personnel.
Les syndicats s’enflamment, le conflit va durer des mois. Les services sont à l’arrêt, les poubelles s’entassent dans les rues. Les images de Liège, vont bientôt faire le tour du monde, surtout celles où l’on voit pompiers communaux et gendarmes s’asperger mutuellement, à coups d’autopompes.
Quant à la fédération liégeoise, elle est au bord de la rupture. Jean-Maurice Dehousse a pris fait et cause pour le personnel communal, il est suivi par les socialistes de la ville, qui estiment qu’André Cools a une lecture caricaturale de la crise, et qui le soupçonnent de vouloir, avant tout, régler ses comptes avec ceux qui l’ont mis en minorité, quelques semaines plus tôt. Ceux de la périphérie, par contre, soutiennent André Cools. Il faudra des mois pour que le conflit s‘apaise, non sans laisser des traces, définitives celles-là, au sein de la fédération liégeoise.
Le redéploiement économique, encore et toujours
En 1990, André Cools annonce officiellement qu’il compte remettre ses mandats de ministre et de parlementaire entre les mains de son parti. La décision surprend. A 63 ans, en a-t-il eu assez des crises, et des combats politiques ? Veut-il tourner la page ? Passer à autre chose ? Une autre forme d’action ? On ne sait pas. Le Parti socialiste lui organise une grande fête. Mais lui n’a pas vraiment l’intention de prendre sa retraite.
En fait, il reste hanté par la nécessité d’agir pour le redressement de sa région. Les charbonnages ont fermé depuis des lustres. La sidérurgie va s’éteindre, peu à peu. Le fédéralisme est là, sans doute, mais il est venu bien tard. Combien d’années perdues avant de le mettre en place ? Plus de trente ans. Trente années pendant lesquelles l’Etat unitaire, sous domination flamande, et le capitalisme financier semblent s’être associés pour laisser dépérir une région qui, pendant des générations, avait été le moteur économique du pays. André Cools n’a plus d’illusion sur ce point, et depuis longtemps, depuis, au moins, la grande grève de l’hiver 60. Il n’a cessé de le répéter, à l’instar de ces propos, tenus en 1983 : « La Flandre a déjà choisi de larguer la Wallonie. La question est de savoir quand elle le fera. La Flandre est en train de parachever la destruction du tissu industriel wallon. Au moment où il n’en restera plus rien, il ne lui restera plus qu’à nous larguer, à faire de nous des sous-développés, des mendiants, et ça, nous ne le voulons pas ».( 17)
Les Wallons, et plus particulièrement les Liégeois, n’ont dès lors plus le choix : il faut mettre leur région en état de répondre aux défis de l’ère post industrielle. Et André Cools entend bien s’y consacrer, avec tous les partenaires possibles, car il faut des investisseurs, et de l’argent public pour les attirer. A Liège, et depuis quelques années déjà, il travaille, dans la discrétion, au sein de différents groupes où se retrouvent patrons, syndicalistes, hommes politiques de tous bords et représentants de la société civile. Des structures ont été mises en place : Neos (une société financière chargée de promouvoir l’industrie et les services, en prenant des participations, ou en fournissant des prêts) Meusinvest (une société d’investissement pour soutenir les initiatives économiques locales) la SAB, société de développement de l’aéroport de Bierset. André Cools préside Neos et la SAB, il est administrateur à Meusinvest. Mais il a exigé que tous ces mandats soient gratuits. Il n’empêche : au sein du parti socialiste, certains voient d’un mauvais œil ce réseau de sociétés qu’ils qualifient de « nébuleuse ». Certes, on est loin des réformes de structure, telles qu’on les pensait encore dans les années 60, mais les temps ont changé. L’esprit de l’initiative publique, par contre, est toujours bien présent, dans ces grands projets publics d’infrastructure et ces partenariats avec le privé. Comme le dira Michel Daerden « Cools tenait son maître atout en matière de développement. Il a vu le coup terrible, historique, qu’il pouvait jouer pour l’économie liégeoise.(18)
Un œil sur le parti
En même temps, il garde un œil sur son parti. Mais son regard est sévère. Ses relations avec Guy Spitaels, sont devenues très tendues. Il n’apprécie pas ce qu’il estime être une déloyauté de la part de son successeur à la présidence du parti. André Cools avait soutenu le retour des socialistes au gouvernement, contre ses adversaires au sein de la fédération : José Happart, Jean-Maurice Dehousse. Or, Guy Spitaels s’est à nouveau rapproché d’eux. Pour André Cools, c’est inacceptable. Il pense qu’il faut évincer Spitaels, et donner un coup de barre à gauche, à la tête du parti. Il s’ouvre de son projet à Philippe Moureaux, l’un de ses plus proches amis, qu’il verrait bien succéder à Spitaels à la présidence. Il prend des contacts. Ses adversaires parlent de « complot », et portent l’affaire sur la place publique.
En juin, dans le hall de la compagnie d’assurances SMAP, il est interpellé par un journaliste de la RTBF. Il fait face à la caméra, avec sa gouaille coutumière :
– On vous accuse de comploter contre le président du PS
– Moi ? Allez ! Spitaels, c’est moi qui l’ai fait !
– Vous n’êtes pas un comploteur ?
– Ah non ! Mais il y en a qui regrettent que je découvre les comploteurs. Ils n’aiment pas ça.(19)
Ce sera sa dernière interview. Un mois plus tard, le 18 juillet 1991, André Cools tombe sous les balles de deux tueurs à gages.
L’assassinat
C’est le début d’une longue enquête que la guerre des juges et des polices rendra passablement chaotique. Il faudra attendre dix années pour en connaître l’épilogue. André Cools avait été assassiné à l’initiative d’une bande criminelle, abritée dans un cabinet politique : celui de son successeur au gouvernement wallon, Alain Van der Biest. Etrange destin que celui de Van der Biest, un homme brillant, cultivé, intéressé tout autant par la politique que par la littérature, et qui cultivait d’ailleurs un profil très particulier, celui d’un homme de pouvoir, mais aussi, à ses heures, d’un romancier. André Cools avait été le premier à remarquer ses qualités. Il l’avait convaincu d’entreprendre une carrière politique. Et Van der Biest y avait plutôt bien réussi : jeune bourgmestre de Grace-Hollogne, puis député, chef de groupe du PS à la Chambre, et enfin ministre.
S’il se présentait volontiers, au début, comme le fils spirituel d’André Cools, au fil des années, leurs relations s’étaient compliquées, puis lentement abimées. Sous ses apparences de socialiste dandy, Van der Biest dissimulait, de moins en moins, bien des fêlures. Dans l’un de ses romans, Les genêts de Seraing, il s’était créé un alter ego littéraire, le député La Jonchaie : « C’est dingue le nombre de gens, de collègues, de professionnels de la chose publique, qui m’ont dit et qui sont allés brailler partout que j’étais trop tendre. Qu’est ce qu’ils ont pu me faire chier, mes chers amis, en allant me diffamer sur ma tendresse ! (…) Je me suis dit qu’on ne m’y reprendrait plus à la tendresse, à l’amitié »(20)
Pour tenir le coup, Van der Biest buvait, de plus en plus. André Cools lui en avait fait grief, à plusieurs reprises, tout en tentant, comme il pouvait, de l’aider. Mais Van der Biest n’écoutait plus : il avait fini par renier son mentor. Certains soirs, il lui arrivait de le détester, et de le dire. André Cools n’en avait pas moins approuvé la dernière promotion de Van der Biest, mais pour découvrir bientôt que son alcoolisme et ses faiblesses avaient à nouveau repris le dessus. Le cabinet partait à la dérive. André Cools avait donné l’ordre à Van der Biest de se débarrasser de certains de ses collaborateurs, en vain. Il en était désormais convaincu : il fallait écarter Van der Biest.
On ne saura jamais ce qu’il s’est exactement passé. Alain Van der Biest a fini par se suicider, peu avant le procès où il devait comparaître en cour d’assises, pour l’assassinat d’André Cools. La justice établira que, autour d’Alain Van der Biest ou dans son dos, quelques uns de ses collaborateurs avaient organisé tout un trafic juteux : rackets divers, et vol de titres. Ce trafic, ils entendaient le préserver, à tout prix, face à un homme qu’ils percevaient comme une menace…
Une vie passionnée
Les funérailles d’André Cools ont eu lieu deux jours après son assassinat. Derrière le corbillard, couvert de gerbes, défilèrent la famille, les amis, des personnalités venues de tous les horizons, puis, une foule immense. C’était son dernier cortège, lui qui en avait emmené tellement, tout au long de sa vie.
Trente années ont passé. Demeure le souvenir d’un homme hors du commun. Socialiste, il aura consacré toutes ses forces à convaincre, et mobiliser, pour mener et souvent remporter de grandes batailles politiques. Rebelle quand il pensait en conscience devoir l’être, il est resté fidèle à son parti, et à son ancrage populaire, sans lequel le socialisme perd son sens, et son âme. Wallon, il a été l’artisan des réformes qui ont permis à la région qu’il aimait de prendre enfin son sort en mains.
Telle fut la vie d’André Cools, celle qu’il mena passionnément, dans la cohérence et la sincérité de ses engagements. Les socialistes, les travailleurs, et la Wallonie lui doivent beaucoup.
Robert Neys (juillet 2021)
Postscriptum
L’équipe d’ ALPHAS tient à remercier André Cools pour la part active qu’il a prise à la création de l’Institut Liégeois d’Histoire Social (ILHS) devenu aujourd’hui ALPHAS.
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Notes
1/ Télé mémoires (RTBF) in « La rose et les épines », film de Robert Neys et Daniel Remi 2016
2/ Télé mémoires (RTBF)
3/ Télé mémoires (RTBF)
4/ Télé mémoires (RTBF)
5/ La Wallonie 30 avril-1er mai 1990 in archives Alphas
6/ Les copains d’alors RTBF in « La rose et les épines »
7 / La Wallonie 16-17 janvier 1970. Archives Alphas
8/ Les assises socialistes à Marcinelle. Le Peuple 13 octobre 1975. Archives Alphas
9/ La Wallonie 18 mars 1974. Archives Alphas
10/ Assises socialistes de Marcinelle. Archives Alphas
11/ La Wallonie 18 mars 1974. Archives Alphas
12/ Face à la presse. RTBF in « La rose et les épines »
13/ Archives Alphas
14/ Faire le point RTBF in « La rose et les épines »
15/ Conférence de presse (RTBF) in « La rose et les épines »
16 / A suivre (RTBF) in « La rose et les épines »
17/ L’information. 17 juin 1983. Archives Alphas
18 / Louis Maraite. André Cools au fer rouge, entretien avec l’auteur (2011)
19/ Interview RTBF, juin 1991
20/ Les genets de Seraing, extrait cité in François Brabant. Histoire secrète du PS liégeois