Biographie
Julien Lahaut est né à Seraing le 6 septembre 1884. Issu d’une famille d’ouvriers, il travaille dès l’âge de 14 ans comme chaudronnier chez Cockerill. Son père est licencié des usines Cockerill pour ses activités politiques. Julien Lahaut prend dès lors très vite conscience que la société dans laquelle il vit doit changer. Ainsi, en 1905, à 21 ans, il fonde avec Joseph Bondas le syndicat des métallurgistes de Seraing Relève-toi, qui s’affiliera à la Centrale des métallurgistes ; en 1908, il en devint le secrétaire permanent. Engagé dans la lutte pour le suffrage universel, il est licencié une première fois de Cockerill à 18 ans puis une deuxième fois du Val-Saint-Lambert en 1908 et est envoyé en prison en 1913.
Engagé volontaire lors de la Première Guerre mondiale, il est incorporé avec Marcel Thiry dans le corps des autocanons envoyé sur le front russe et vivra donc la Révolution russe. En 1921, éclate la grève d’Ougrée-Marihaye. Contre l’avis de son parti et du syndicat mais avec le soutien total des ouvriers, il décide de mener la grève au finish. Exclu du POB et du syndicat, il fonde la section locale des Chevaliers du travail (syndicat communiste) et adhère en 1923 au PCB. Il est élu conseiller communal dès 1926 puis député de 1932 à 1950. Engagé auprès des républicains espagnols en 1936, il s’occupe également du quotidien La voix du peuple.
Pendant la Deuxième Guerre mondiale, il jette les bases de l’Armée belge des partisans et contrecarre les projets de Degrelle en immobilisant le bassin liégeois lors de la grève de 1941. Arrêté en 1941 par les Allemands, il est interné au camp de Mathausen. Président du PCB à partir de 1946, Lahaut est un des plus féroces opposants wallons au retour du roi Léopold III. Son plus grand coup d’éclat sera de lancer le cri « Vive la République » lors de la prestation de serment de Baudouin le 11 août 1950 devant les chambres réunies, un cri qui, en réalité, avait été lancé de concert par tout le groupe communiste.
L’assassinat
Le soir du 18 août 1950, Julien Lahaut est assassiné par cinq coups de feu sur le seuil de sa porte, rue de la Vecquée, 65 à Seraing ; il avait 65 ans. Les funérailles rassemblent plus de 100.000 personnes et donnent lieu à plusieurs arrêts de travail partout en Wallonie et surtout en région liégeoise. Il est enterré au cimetière des Biens Communaux de Seraing.
L’enquête judiciaire et médiatique
Dans sa conférence de presse le lendemain du meurtre, le Premier ministre Joseph Pholien, par peur d’un mouvement de déstabilisation du gouvernement par l’opposition politique et syndicale socialiste et communiste (ce qui était peut-être le but des commanditaires de cet attentat), condamne cet attentat et promet que toute la lumière sera faite sur cette affaire. Pourtant, l’enquête piétine : elle durera 20 ans, sans résultats.
La gauche belge évoqua à plusieurs reprises un lien possible avec l’organisation anticommuniste Paix et Liberté. Le 31 mai 1958, le journal Le Peuple fit écho aux déclarations d’Emile Delcourt lors de son procès pour détournement de fonds devant le tribunal correctionnel de Bruxelles. Ce drôle de personnage participait activement à la lutte anticommuniste menée par les Etats-Unis (CIA et le fameux sénateur McCarthy). Il dirigeait le journal de propagande L’unité Belge. Il aurait recruté deux tueurs à gages corses avec l’argent du Fonds Cardinal Mercier dont la gestion avait été confiée par le cardinal Van Roey au curé bruxellois Paul Calmeyn. Il désigna également Jean-Robert Debbaudt, un ancien de la Légion SS de Degrelle, comme étant le conducteur du commando qui liquida Lahaut. Toutes ces personnes ou presque ne furent jamais inquiétées dans le cadre de l’enquête sur l’assassinat de Julien Lahaut. Deux ans plus tard, une perquisition eut lieu dans les locaux anversois des Koningsgezinde Beweging Leopold III, sans résultats.
En 1970, il y eut prescription et, en 1972, le dossier Lahaut fut définitivement classé par la justice liégeoise. L’enquête ne révéla rien de plus que ce que l’on savait déjà : Julien Lahaut fut assassiné par l’extrême droite flamande léopoldiste et anticommuniste (n’oublions pas que nous sommes alors en pleine guerre froide) !
Les médias et les écrivains (on ne compte plus le nombre de livres consacrés à cette affaire) s’emparent alors de l’affaire. En 1983, la BRT diffuse un reportage sur la Ligue Eltrois, dont un des membres serait le fameux assassin, selon les historiens Rudi Van Doorselaer et Etienne Verhoeyen (ce dernier est aujourd’hui directeur du CEGES ), chargés de l’enquête. Ces derniers publieront d’ailleurs un livre sur l’affaire en 1985 .
En décembre 2007, relayé par le journal De Morgen, un reportage du magazine Keerpunt de Canvas, la deuxième chaîne de la VRT, retrouve cet homme, habitant de Hal en périphérie bruxelloise, qui, bien qu’il y ait prescription, désira conserver l’anonymat (il est aujourd’hui décédé). Il aurait fait partie d’un commando de quatre personnes (et non trois comme on le pensait auparavant), groupe dit De fret, et aurait donc porté le coup mortel. Le commando comprenait un certain Verbruggen, François Goossens (dernier témoin de la scène, auteur des autres coups de feu et chef du commando, celui-ci fut longtemps considéré comme l’assassin), ainsi que le petit-fils de l’ancien bourgmestre CVP de Hal, Jan-Nikolaas Devillé. Le supposé assassin de Julien Lahaut et le nom de Verbruggen étaient pourtant connus de la Sûreté de l’Etat dès octobre 1950 mais le juge d’instruction de Liège n’a jamais jugé utile de les interroger et l’enquête ne sera jamais réouverte !
Pour quelles raisons toutes ces pistes n’ont pas ou peu été explorées ? Raison d’Etat (des pressions ont parfois été exercées sur ceux qui tentaient de faire la lumière), crainte devoir la monarchie éclaboussée ? L’incertitude qui continue à planer sur cette affaire laisse la place à toutes les interprétations.
Au final, il s’agissait bien réseau anticommuniste dirigé par André Moyen avec pour complices François Goossens, les frères Eugène et Alex Devillé et Jan Hamelrijck. André Moyen bénéficiait de relations et protections au sein de la police judiciaire et parmi les dirigeants de plusieurs grandes entreprises. Aucun ne sera condamné pour cette affaire et cet assassinat . Pour en savoir plus sur l’enquête, voir le livre du CEGESOMA : Emmanuel Gerard, Widukind De Ridder, Françoise Muller, Qui a tué Julien Lahaut? Les ombres de la guerre froide en Belgique, Waterloo, Renaissance du livre, 2015
Les répercussions politiques
Les politiques vont finir par prendre le relai des médias dans la quête de la vérité. En 2000, le Parti Communiste, soutenu par plus de 200 personnalités politiques, syndicales et associatives belges, soumet une proposition de Commission d’enquête chargée de faire la lumière sur l’assassinat de Julien Lahaut ainsi que les dysfonctionnements de l’enquête.
En 2002, suite à la commission d’enquête sur l’assassinat de Patrice Lumumba et à une pétition populaire, une nouvelle proposition est faite dans ce sens par Patrick Moriau (PS), Muriel Gerkens (Ecolo), Marie-Thérèse Coenen (Ecolo) et Leen Laenen (Agalev) devant la Chambre.
En 2005 (55ème anniversaire de l’assassinat), rebelote ; la demande émane cette fois-ci des sénateurs Philippe Moureaux (PS), Josy Dubié (Ecolo) et Pol Van Den Driessche (CD&V). Las, le 5 novembre 2008, la Commission de la Justice du Sénat faisait barrage à cette proposition mais acceptait à l’unanimité la demande d’une étude scientifique confiée au CEGES pour une somme de 396.000 € étalés sur 3 ans, décision confirmé lors d’un vote au Sénat le 18 décembre 2008.
Mais voilà que, le 17 septembre 2009, la ministre de la Politique scientifique Sabine Laruelle (MR), refusait de débloquer les budgets sans passer par l’avis du gouvernement, jugeant le coût de cette étude trop élevé sous prétexte de crise économique (cette somme est pourtant dérisoire étalée sur 3 ans et n’est rien en comparaison de celle déloquée pour sauver les banques). Exit donc l’étude scientifique. La députée européenne Véronique De Keyser, soutenue notamment par le sénateur Josy Dubié (Ecolo), l’ex-Ministre de la police scientifique Jean-Maurice Dehousse (PS) et la chef de groupe Ecolo à la Chambre Muriel Geerkens, se fait alors la porte-parole de la contestation en lançant une souscription publique. Philippe Mahoux, président du groupe PS au Sénat, proposa peu après au Bureau du Sénat la prise en charge sur le budget du Sénat lui-même de tout ou d’une partie des coûts de cette étude mais sans succès.
Devoir de mémoire, devoir démocratique de faire la lumière sur l’assassinat d’un représentant du peuple belge, devoir d’une démocratie d’analyser ses propres failles pour mieux lutter contre le danger de l’extrême droite et réhabiliter le et la politique aux yeux des citoyens, manque de courage politique, déni de démocratie, les arguments contre cette décision de la ministre Laruelle ne manquent pas. Or, l’appui des autorités est précieux car il permet l’accès à certaines sources qui sont difficilement accessibles à un simple chercheur.
Guillaume Rimbaud – Décembre 2009, mis à jour en 2023
NB : Près de 40.000 € ont pu être récoltés grâce à la souscription publique lancée fin 2009. En février 2011, le ministre de l’Enfance, de la Recherche et de la Fonction publique de la Communauté française, Jean-Marc Nollet (Ecolo) a complété cette somme par l’apport de 150.000 € pour permettre une première phase de l’étude.
Sources :
Articles de journaux :
- « Un caquet à rabattre », dans La Libre, 26/10/2009
- « L’enquête sur Lahaut doit avoir lieu », dans La Libre, 20/10/2009
- « Assassinat de Julien Lahaut : la vérité historique sacrifiée sur l’autel de la crise », Le Soir, 15/10/2009
- Archives en ligne de Sudpresse, 22/09/2009
- « Lahaut : une étude quand même ? », dans La Libre, 24/09/2009
- « Celui qui a tué Julien Lahaut », dans La DH, 05/12/2007
- « Le véritable assassin de Julien Lahaut », dans La Libre, 05/12/2007
- Toudi mensuel, n°45-46, avril-mai 2002
- Le Monde du Travail, 21-22-23/08/1950
Sites web :
- Site web du PS (Actualités)
- www.vdekeyser.be
- Site du PTB (Actualités)
- Blog de Julien Dohet
- Site web de l’Institut Jules Destrée (rubrique Wallonie en ligne, histoire, cent Wallons du siècle)
- Site web de l’asbl RésistanceS, observatoire de l’extrême droite
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