L’action politique et sociale des Truffaut

L’action politique et sociale des Truffaut
Liberté de la femme
Liberté de la femme. Enfants voulus, enfants heureux. Affiche du PSB pour les élections législatives de juin 1974, éd. A. Léonard, Bruxelles.

Intervention de Suzy Pasleau, professeur d’histoire à l’ULg, lors du colloque « Georges & France Truffaut : de père en fille » du 22 octobre 2016 action politique et sociale des Truffaut

Avant d’entrer dans le vif du sujet, je voudrais préciser que je me suis associée, pour mener à bien cette intervention à Benjamin Galloy, historien à l’université de Liège qui a fait un master en sciences politiques. En fait, j’avais programmé de présenter cette communication en deux parties. La première : d’abord retracer les principales actions politiques et sociales de Georges et de France Truffaut et dans un deuxième temps, de concentrer l’exposé sur l’Interruption Volontaire de Grossesse, sujet sur lequel France Truffaut a beaucoup œuvré.

Je vais passer très rapidement sur les actions politiques et sociales de Georges Truffaut et de France Truffaut parce que les exposés précédents ont déjà bien balayé un certain nombre de choses.

Les principales actions politiques et sociales de Georges et de France Truffaut

Georges Truffaut s’engage très tôt dans les luttes sociales et politiques, tout d’abord auprès de l’Union Socialiste Communale de Liège dont il devient le secrétaire en 1928, à l’âge de 27 ans. Ensuite, comme journaliste au Peuple et à la Wallonie à partir de 1924. Il devient également Président de la section de Liège-Namur-Luxembourg du Syndicat Général des Employés. Il y militera notamment pour un régime plus complet d’assurances-maladie-invalidité et la vieillesse. Il militera pour l’instauration des congés payés, qui arriveront finalement en 1936 et pour l’instauration des Commissions Paritaires. En tant que député, Georges Truffaut s’intéresse surtout aux questions financières. Dès son premier discours, il condamne la politique d’austérité du gouvernement chrétien-libéral et pour faire face à la crise, les socialistes avaient adopté en congrès… (rire) le plan de travail d’Henri De Man que tout le monde connait, basé sur une réappropriation par l’Etat des leviers économiques, principalement l’énergie et les transports. Georges Truffaut dépose alors, au Parlement, un projet de nationalisation du secteur bancaire et des assurances.

Grèves
Manifestation à Liège (ici place des Guillemins) contre les mesures d’austérité du gouvernement chrétien-libéral de Gaston Eyskens (Loi unique) Photographie de Robyns-Desarcy, 6 janvier 1961 Coll. Province de Liège – Musée de la Vie wallonne, Fonds d’Histoire du Mouvement wallon

Je vais en rester là pour Georges Truffaut. Je vais passer plutôt à France Truffaut que l’on a très peu évoqué au cours de cette journée. Elle aussi s’est engagée tout aussi tôt que son père dans les luttes sociales et politiques. Elle est affiliée au Parti Socialiste Belge dès 1945 – en fait elle avait tout juste 19 ans. Elle est active au sein des Jeunes Gardes Socialistes : elle va descendre dans la rue soutenir des manifestations contre le retour du Roi Léopold III – cette fameuse Question Royale, avec en conséquence cinq jours d’emprisonnement. Elle est déléguée de la FGTB, on en a parlé tout à l’heure au moment de la grande grève générale de l’hiver 1960-61. Elle a aussi manifesté contre les mesures d’austérité du gouvernement chrétien-libéral de Gaston Eyskens. Elle a été active au sein du Mouvement Populaire Wallon et surtout, et c’est là que son intervention va porter c’est comme sénatrice PS de 1985 à 1991 où atteinte par la limite d’âge imposée par le parti, elle va se retirer progressivement de la vie politique.

Coopération au développement
Photo du voyage au Rwanda avec la Commission de Coopération au Développement du Sénat, 6 octobre 1986 Coll. ALPHAS NB : France Truffaut est entourée des Députés du Conseil national de Développement (ancien nom du Parlement unicaméral rwandais) Madame Pascasu Mugwaneza Majengesho et Monsieur Joseph Mporanji, ce dernier étant alors également Président de la Commission des Affaires extérieures.

En tant que sénatrice, elle combat les mesures d’austérité du gouvernement de droite Martens-Gol, surtout celles touchant de nouveau indirectement les femmes ainsi que la petite enfance et la santé. Déléguée à la Commission des Femmes au PS, elle se bat pour faire avancer l’égalité hommes-femmes de façon générale et pour aboutir en particulier à la proposition de Loi qui dépénalise l’avortement, et qui sera effective en 1990 – je vais y revenir. Elle dépose également une proposition de Loi, pour déduire fiscalement, sous certaines conditions, les frais de garde des enfants. Elle n’oublie pas non plus de défendre les enseignants, comme on l’a dit avant, elle a été elle-même enseignante durant une partie de sa carrière. Membre également du Rassemblement Liégeois pour la Paix, elle va militer pour le désarmement nucléaire. Elle va aussi être extrêmement sensible aux questions environnementales, notamment en essayant d’appliquer des mesures de sécurité surtout vis-à-vis de l’énergie nucléaire. Pour combler, l’absence quasi générale de condamnation pour atteinte à l’environnement, Tchernobyl évidemment l’a marquée. Elle défend le droit des prisonniers, des résistants, des invalides, des victimes de guerre Belges et est membre de la Ligue des Droits de l’Homme. Elle est également membre au Sénat de la Commission de Coopération au Développement où elle va tenter de simplifier et d’accélérer la procédure d’octroi du statut de réfugié. Elle se fait également la porte-parole des problèmes financiers de la Ville de Liège et est attentive à ce que le fonds des calamités intervienne rapidement pour le tremblement de terre de 1982, qui a marqué la Région Liégeoise. Elle défend une proposition de Loi pour que les cendres des personnes incinérées ne soient plus obligatoirement dispersées dans l’enceinte du cimetière, mais puissent être remises à la famille.

Tous ces points montrent l’importance des questions sociales dans la carrière politique de France Truffaut. Il est clair qu’il était impossible d’aborder toutes ces questions dans le cadre d’une intervention d’une demi-heure, donc j’ai décidé, avec Benjamin Galloy, de se centrer sur l’Interruption Volontaire de Grossesse.  On s’est intéressé à cette question car elle représente une question centrale pour le pays et on peut constater comment France Truffaut se met en évidence dans un dossier, qui permet de la voir évoluer au sein du groupe socialiste et non pas seulement en tant qu’individu.

L’interruption volontaire de grossesse

[…] Globalement, au niveau du monde, on estime à 50.000.000 chaque année le nombre d’avortements dans le monde et à plus d’un milliard, le nombre d’avortements légaux réalisés depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale dans le monde. Ce sont d’abord, les régimes soviétiques qui ont légalisé l’avortement dans les années ’60. C’est ensuite la majorité des pays sous-développés qui ont discriminé l’avortement dans les années ’70. Aujourd’hui, de nombreuses pressions sont exercées sur les pays développés récalcitrants, comme la Pologne ou l’Irlande et sur les pays en voie de développement, tant en Afrique, qu’en Amérique Centrale et en Amérique du Sud.  La carte suivante représente la législation sur l’avortement en Europe. En Europe, il se produit un avortement toutes les 27 secondes, soit presque 1,2 million d’avortements par an. Une grossesse   sur cinq se termine par un avortement. Cinq pays totalisent 900.000 avortements à eux seuls soit la grande majorité des avortements puisqu’ils représentent 77 %. Ces pays sont par ordre décroissant : la France, le Royaume-Uni, la Roumanie, l’Allemagne, et l’Espagne.  Les pays qui sont restrictifs en matière d’avortement sont la Pologne (on en a parlé), l’Irlande mais aussi Malte et Chypre tout comme l’Espagne même si dans la pratique, elle s’avère bien au contraire la plus laxiste. Quelques points de repères concernant le contexte législatif en Belgique. 1867 c’est la première Loi Belge sur l’avortement. Elle interdit tout avortement, sans aucune exception. 1923, c’est la seconde loi qui interdit aussi l’avortement et punit la publicité et l’information en matière de contraception. 1962 voit la création du premier centre de planning familial en région francophone. 1963, c’est la fameuse Affaire Peers où le docteur Willy Peers qui est gynécologue Namurois est emprisonné pour avoir pratiqué des Interruptions Volontaires de Grossesses. Il sera le dernier médecin à subir une même peine. Son emprisonnement va entraîner une mobilisation, des manifestations et de larges contestations y compris dans les rangs des chrétiens progressistes. Il s’ensuit une trêve judiciaire à la demande des politiques et pour permettre la sérénité des débats. Le monde judiciaire accepte de ne plus poursuivre les praticiens de l’avortement. À partir de 1975, c’est le début de la pratique des avortements dans les centres de plannings familiaux en Belgique mais on assiste rapidement au retour des poursuites judiciaires. Entre 1978 et 1986 naitront de nombreuses propositions de Loi qui vont se succéder sans nécessairement aboutir à une Loi car il y a des blocages. Les partis socio-chrétiens sont alors au pouvoir. 1986, c’est le dépôt de la Loi Lallemand-Michielsens. Le 29 mars 1990, c’est la Loi Lallemand-Michielsens – il aura fallu quatre années et plusieurs gouvernements pour que cette Loi soit votée approuvée à 126 voix contre 69 et 12 abstentions à la Chambre des Députés. Le Roi Baudouin abdique pour une durée de 36 heures en invoquant à l’époque l’article 82 de la Constitution de l’impossibilité de régner. Catholique, le Roi affirme que sa conscience ne lui permet pas de signer le texte sur l’Interruption Volontaire de Grossesse tout en acceptant que cette Loi soit nécessaire au Pays. Ce processus ne fut utilisé qu’une seule fois précédemment lors de la deuxième guerre mondiale. Les Chambres réunies ont acté l’impossibilité de régner du Roi Baudouin pour 36 heures et ont donné ses pouvoirs au Gouvernement qui a donc pu ratifier la Loi en faveur de l’avortement.  L’avortement en Belgique maintenant. En 1813, il y a eu 1.500 avortements en Belgique. Plus de 25 % des avortements ont lieu à Bruxelles et autorisés en théorie en cas de détresse jusqu’à la douzième semaine en pratique et à l’instar de la France, l’avortement est accessible sur simple demande.

Ceci visait à retracer très rapidement le contexte législatif de l’Interruption Volontaire de Grossesse en Belgique.

L’intervention de France Truffaut.

La loi qui légalise l’avortement en Belgique est à mettre à l’actif d’un ensemble de sénateurs qui viennent d’horizons politiques différents, à savoir socialistes, libéraux et écolos. Le groupe politique qui réalise la proposition de Loi est également composé de personnalités aussi bien du Nord que du Sud du pays. La dia représente le groupe de 7 personnes et voyait que France Truffaut en fait partie. Ce groupe a fait avancer libertés de la femme en Belgique au cours de cette période. Outre le fait qu’elle est signataire de cette proposition, elle la défend également devant le Sénat. La proposition de Loi met en avant plusieurs valeurs fondamentales comparativement à ce qui était précédemment légal en Belgique. Cette proposition de Loi est en relation avec les différences qui existent entre les textes de Loi et la réalité. D’une part, si l’avortement est légal chez nos voisins, les femmes Belges, qui se déplacent à l’étranger et plus spécifiquement aux Pays-Bas pour pratiquer une Interruption Volontaire de Grossesse, ne peuvent être jugées selon la Loi Belge de l’époque. D’autre part, l’Interruption Volontaire de Grossesse est déjà pratiquée par de nombreux médecins avant 1990, et cela malgré l’interdiction de la Loi et ces infractions ne sont que très rarement poursuivies par le Parquet. Dans un premier temps, la proposition de Loi prévoit de réglementer la pratique de l’avortement et surtout de l’encadrer en condamnant, comme c’était déjà le cas auparavant, les avortements exercés sans le consentement de la mère ou réalisés dans des installations ou par des moyens inadaptés qui pourraient causés des séquelles aux victimes. Comme le souligne France Truffaut dans une intervention auparavant les centres ne se cachaient pas de réaliser des Interruptions Volontaires de Grossesses et en conséquence des médecins ont été jugés coupables de contrevenir à la Loi. Si la proposition de Loi touche les différents articles qui abordent la question de l’avortement, celui qui est le plus problématique est le 350 qui touche à la législation de cette pratique dans le cas d’un état de détresse de la mère. Les autres articles concernent les cas d’avortement qui seront organisés soit par des personnes ne possédant pas le degré de compétence nécessaire soit par des moyens illégaux ou en opposition à la volonté de la mère. L’un des points centraux de la proposition de Loi et des amendements concerne donc la question de détresse qui était auparavant absente de la Loi pénale. Ce point particulier a été vraiment au centre des discussions entre les différents points. La question est « Qui allait considérer qu’une femme est en droit d’avorter ? ». La proposition de Loi n’est pas une dépénalisation complète de l’avortement. Si une partie du Sénat est favorable que cette décision appartient à la femme, d’autres considèrent que cela relève de la fonction du médecin voire de celle d’un juge. La proposition de Loi ne précise pas les moyens pour juger l’état de détresse et qui va constater cet état de détresse. Il s’agit donc uniquement d’une décision de la femme et de sa volonté de mettre fin à son état de grossesse. Les amendements vont quant à eux mettre en avant que ce point doive être discuté avec le médecin, qui une fois qu’il reconnaît l’état de détresse fait signer à la mère les papiers nécessaires qui lui donnent le droit de mener un avortement. La place du médecin est très importante dans la Loi finale qui fut votée au Parlement puisqu’outre le caractère médical, la Loi en fait concrètement aussi bien un psychologue qu’un informateur. La Loi précise que le médecin doit informer sa patiente, de l’ensemble des risques qu’elle encourt et des conséquences de son acte, doit informer de la contraception, doit aussi informer – et c’est peut-être le plus important – de l’ensemble des possibilités qui existent pour éviter une Interruption Volontaire de Grossesse ou au contraire de la pratiquer. Le médecin est également en droit de refuser de pratiquer un avortement s’il l’indique à sa patiente. Un délai de six jours est exigé après le premier rendez-vous pour pouvoir pratiquer l’intervention. Les hommes et les femmes politiques veulent vraiment responsabiliser la mère qui souhaite avorter. Ces obligations sont mises en place dans le but de réaliser une diminution des avortements malgré la dépénalisation de celui-ci. La place du médecin est importante car il y a une crainte de certains parlementaires de voir cette Loi permettre un commerce de l’avortement, ce que les Sénateurs condamnent fermement notamment dans le cadre des autres articles. C’est une action importante dans le domaine de la liberté des femmes en Belgique et une avancée sociale qui va permettre d’assurer une certaine sécurité à celles qui veulent avorter et qui ne passeront plus par celles que l’on appelle « les faiseuses d’Anges » ou par les pays limitrophes de la Belgique. Cette Loi va aussi permettre à la Belgique de retrouver sur cette question un statut qu’elle a perdu, à savoir un état de droit après des années de tolérance partielle sur cette question. Ajoutons que cette Loi, de part son impact politique sur la Royauté, est également l’un des documents les plus importants du monde politique Belge de la seconde moitié du vingtième siècle.

France Truffaut est l’une des personnalités marquantes de ce dossier malgré son effacement en faveur d’autres personnalités politiques comme Lallemand et Herman Michielsens dont les noms vont désigner cette Loi. Elle joue cependant un rôle considérable puisque dans un premier temps, elle est signataire de la proposition mais également au travers de son discours devant le Sénat, dans le cadre de la présentation de ce dossier, et je vais y revenir. Ce n’est cependant qu’un aspect de son activité dans le cadre de son action pour l’avortement. Elle va également être présente à travers toute une série d’actions publiques et médiatiques qui ont contribué à l’évolution sociale des libertés de la femme.

France Truffaut va prendre la parole lors de la séance du 13 juillet 1989, dans le cadre d’une observation. Elle souhaite rectifier certains a priori qu’une partie du Sénat pourrait avoir à l’encontre de la question de la dépénalisation de l’avortement. Elle va articuler son exposé autour de trois points. Cette proposition de Loi n’est pas conçue dans le but d’augmenter le nombre d’avortements en Belgique, mais bien au contraire de limiter ce phénomène en ne le dépénalisant que partiellement. Il existe toujours une limite. L’Interruption Volontaire de Grossesse ne peut être considérée par la population comme une banalité. L’Interruption Volontaire de Grossesse doit être réfléchie comme un acte ayant des retombées sur la suite de la vie d’une personne.

France Truffaut se base sur les informations provenant des pays étrangers qui ont libéralisés l’avortement et qui, le plus souvent, ont vu une baisse des demandes à la suite de cette libéralisation. Des adversaires rétorqueront que certains pays et notamment certains états américains ont demandé récemment un retour à la dépénalisation de l’Interruption Volontaire de Grossesse sans pour autant que cela ne soit significatif. Signalons simplement que le nombre d’avortements en Belgique est resté relativement stable depuis l’application de la Loi.

Dans son deuxième point, elle considère que cette question doit être traitée pour permettre enfin après de nombreuses années que le droit et la réalité coïncident. Interdiction du Code pénal qui n’était que rarement appliqué en tout cas et rarement condamné par les différents parquets Belges, et on pouvait aussi constater une différence en fonction de la localisation.

Le dernier point qu’elle aborde est la question de l’état de détresse de la mère qui n’est pas pris en compte dans la Loi. Elle précise que cet état de détresse ne peut être uniquement physique mais doit comprendre également de nombreux éléments de la vie d’une personne pour expliquer la situation de la mère et en particulier, les questions économiques, psychologiques et autres. Il s’agit selon elle d’un fait sociologique. Si la femme peut biologiquement porter un enfant jusqu’à la naissance, elle ne peut parfois pas pour autant assurer son éducation et des conditions de vie acceptable. C’est pour cette raison que la décision d’interrompre une grossesse dépend de la femme et non des autres, car c’est elle qui devra vivre en assumant ce choix. Il s’agit donc d’un discours politique qui met en évidence l’importance de la décision qui doit appartenir à la femme, et non comme c’était le cas précédemment à un juge. Elle ne revient cependant pas plus tard sur le fait que ce choix doit être pris et considéré comme valable par un médecin.

France Truffaut intervient également lors d’une séance du Sénat en date du 27 octobre sur la question de la proposition de Loi Lallemand-Michielsens.  Elle précise durant cette intervention les causes et les conséquences sur la population Belge et en particulier pour les femmes. Elle profite également de son temps de paroles pour répondre aux opposants de ce projet et n’hésite pas à interpeller les sénateurs opposants sur leurs interventions dans les médias. Elle précise également qu’elle est extrêmement choquée de l’utilisation de mots comme « génocide », « caprice de la femme », qui ont été proféré par des groupes s’opposant à cette modification de l’article 350. Elle met également en avant les 4 points qui vont être les plus touchés par cette modification. Tout d’abord le secteur de la santé : nous en avons parlé, celui de représentation collective notamment la famille et les enfants, le droit avec le retour à une logique entre la loi et la vie réelle, et enfin le dernier point qui touche la question de la moralité et du normalisme. Concernant ce dernier point, France Truffaut met en avant l’un des grands principes du socialisme de la séparation entre la religion et le politique. Elle reconnait l’importance de l’Eglise dans le cadre de son rôle moral en Belgique mais elle analyse de façon détachée et sans parti-pris les décisions des instances religieuses à l’égard de la question de l’avortement et souligne une dissociation entre les discours et la réalité qui se fait jour, dans les pays orientaux, sur cette question. Elle insiste également sur la relation en Belgique entre le spirituel et le temporel qui se place sur la voie de la coexistence. Il est simplement impossible de maintenir une Loi qui n’est plus que rarement et aléatoirement mise en application pour assurer la place du spirituel dans un Code de Loi dans lequel il devrait être absent. Elle met également en avant l’importance de cette proposition de Loi dans le cadre de l’enfant, car il est, selon elle, préférable de recourir à un avortement que de mettre au monde un individu qui ne disposera pas des besoins nécessaires à son évolution, comme ce fut le cas précédemment. Elle prend pour exemple les enfants maltraités ainsi que ceux qui souffrent d’insuffisance aussi bien matérielle que sentimentale. Elle termine son exposé en précisant que la proposition de Loi qui concerne l’Interruption Volontaire de Grossesse résulte aussi de la limitation de l’éducation sexuelle et de la contraception qui n’ont peut-être pas été menées avec suffisamment d’intensité. Dans l’ensemble des positions qu’elle émet au Senat, France Truffaut soutient une proposition multipartite mais en insistant sur le caractère social et féminin de cette proposition de Loi. Elle n’hésite pas non plus à s’expliquer directement avec ses vis-à-vis des autres partis s’opposant à l’avortement qui ne veulent pas entendre parler du changement de statut.  Parmi les membres de l’opposition, une partie n’est pas nécessairement opposé à l’avortement mais ne veut pas d’un changement de la Loi car il existe une peur réelle de voir les mentalités considérer le droit à l’avortement avec une grande légèreté. Elle considère cependant que le devoir d’un Parlementaire n’est pas de trouver des solutions faciles mais qu’il doit assumer de remettre en cause des Lois qui sont à l’heure des auditions complètement dépassées. Elle intervient donc directement dans le cadre de ces discussions. Et pourtant, elle est l’une des grandes oubliées du grand public dans le cadre de la modification de l’article 350. Elle a pourtant été présente lors de l’ensemble du processus de discussion puisqu’elle a participé aux séances de commission, qu’elle est intervenue directement au Sénat pour défendre sa vision de la politique sur une question sociale aussi importante. Il ne faudrait cependant pas réduire l’action sociale de France Truffaut sur le plan social à la seule question de l’avortement. Durant cette communication, nous avons voulu mettre en avant ce point précis car cette proposition est celle que l’on peut considérer comme l’avancée la plus importante à mettre au crédit de France Truffaut. Cette Loi met en avant l’évolution de la situation de la femme durant la seconde moitié du vingtième siècle et l’absence de soutien à cette modification en Belgique par le pouvoir temporel.

De nombreux autres dossiers auraient pu être abordés. La sénatrice Truffaut a travaillé sur des questions aussi importantes pour la population comme le chômage, les anciens combattants, un sujet très sensible pour elle en particulier, à cause du souvenir de son père et des liens qu’elle a tissés avec de nombreuses associations. Il est impossible de ne pas soutenir le lien qui unit les deux protagonistes de ce colloque dans le cadre de l’attachement de France à la question mémorielle de ceux qui ont combattu. La question de la femme et de l’enfant revient également dans plusieurs de ses positions politiques et en particulier dans le cadre de celle de la réduction fiscale de la garde des enfants. La question locale est également abordée et en particulier en ce qui concerne l’indemnisation des victimes du tremblement de terre qui a frappé la province et la Ville de Liège. Impossible dans un temps si court de résumer l’ensemble des combats politiques menés par France Truffaut, dans le cadre de son activité de sénatrice sur une période de cinq ans. Elle a touché un grand nombre de dossiers aussi bien sur le social que le plan économique, national et international qui ont façonné la Belgique dans laquelle nous vivons aujourd’hui.

Manif avortement
Manifestation des Femmes Prévoyantes Socialistes pour la dépénalisation de l’avortement Place Saint-Paul à Liège. Photographie de Robyns, 1979.

La question de l’avortement est bien sûr la question centrale de son activité politique à savoir la question de la défense des droits et libertés de la femme Belge moderne. À de nombreuses reprises, elle a mis en avant cette catégorie de la population dans le cadre de son programme politique qui apparaît clairement dans le prospectus pour les élections parlementaires de 1987. Elle met également la cause de la femme mais également son ancrage local tout en s’opposant fermement au gouvernement de l’époque, Martens, alors composé de libéraux et de catholiques. Elle montre l’importance qu’elle accorde aux questions sociales qui touchent à cette époque la Wallonie, tout en soulignant l’importance de l’indemnisation des habitants de la Ville de Liège dans le cadre du tremblement de terre. Son combat en faveur de l’avortement ne date pas de la proposition de Loi puisque déjà à cette époque, elle souligne qu’elle va participer comme membre du Parti Socialiste, à la question de la libéralisation de l’avortement. Ce document démontre l’importance des femmes dans son programme et dans sa pensée politique. Elle n’hésite à revenir sur cette question de la cause féminine dans le cadre de plusieurs discours, ainsi qu’en mettant en avant la place de la femme en politique dans le cadre d’articles de presse pour le journal « La Wallonie ».

Arrêtons-nous un moment sur la question des médias dans la carrière de France Truffaut. À l’instar de son père. C’est un des soucis les plus importants dans sa carrière de sénatrice. L’un et l’autre ont rédigé des articles dans les mêmes quotidiens à savoir « Le Peuple » et « La Wallonie ». Il s’agit là de quotidiens socialistes dans sa composante régionale. La participation de Georges Truffaut et son utilisation des médias n’est pas surprenante puisqu’il est journaliste avant d’être un homme politique. Sa fille n’hésite à se servir de ces médias pour intervenir et mettre en alerte les lecteurs sur les questions qu’elle allait traiter dans son travail de Parlementaire. Son engagement en faveur de la modification de l’article 350 est d’ailleurs présent dans les médias et notamment dans plusieurs articles couvrant des moments différents de sa carrière. Nous avons décidé de mettre en avant ce média car il souligne que malgré une différence de 50 ans, les méthodes utilisées par les Truffaut pour attirer l’attention de ses lecteurs et de la population de la périphérie. Dans son article, la politique au féminin, elle démontre aussi l’importance de la femme sur la scène politique et son effacement des cercles de pouvoir malgré l’importance que cette catégorie a dans la vie quotidienne. Elle insiste sur les causes qui poussent à considérer que l’amélioration de la condition de cette catégorie de la société est loin d’être menée à bien et qu’il est nécessaire que ce soit les femmes qui participent à l’évolution de leur statut et de leurs droits, et l’un de ces droits est bien sûr celui de la libéralisation de l’avortement. L’intervention de France Truffaut dans la presse avant la proposition de Loi et après l’avis rendu par le Conseil d’Etat sur la proposition de Loi nous permet de voir ses positions et la manière dont elle considère l’avancement de ce dossier. Dans le premier article, elle souligne l’importance de cette Loi et n’hésite pas à souligner les bassesses de ses opposants et en particulier du CVP dans le cadre de la proposition précédente. L’utilisation de nombreux artifices bloquant le règlement de cette question et notamment certains qu’elle n’hésite pas à qualifier d’anti-démocratiques vont se faire jour, et elle souligne les difficultés à obtenir un nombre de voix suffisantes pour parvenir à faire passer cette modification de la Loi. Elle insiste sur la nécessité de faire passer cette modification de la Loi parce que si ce n’était pas le cas, la Belgique maintiendrait un système à deux vitesses entre la Loi stricte et son application dans le cadre de la vie civile. C’est ainsi que démontre la volonté de France Truffaut de mettre en avant l’intérêt de cette modification pour la population et cela sans chercher à mettre en avant la fracture entre les croyances et le politique. Dès le départ, France Truffaut a clairement été en faveur de la libéralisation de l’avortement, et n’hésite pas à le soutenir en tant que femme mais également en tant que membre du parti politique et du gouvernement. La seconde intervention dans le journal « Le Peuple » a permis de voir l’importance de la question dans l’état de détresse dans la pensée que France Truffaut se fait de la proposition de Loi. En effet, dans son avis sur la proposition de Loi, le Conseil d’Etat rejette ce terme qui était jusqu’à présent, absent du Code Pénal en Belgique. Cette question d’état de détresse parait être, dans la mentalité des opposants, une volonté de fournir, selon elle, un avortement à la carte sans aucune restriction. Elle précise toutefois que ce n’est pas le cas car comme nous le montrent les discussions parlementaires, une Interruption Volontaire de Grossesse doit être réalisée après plusieurs étapes qui peuvent faire revenir la femme sur sa décision et qui lui feront prendre conscience surtout de l’importance de sa décision. Il est intéressant de voir dans cet article qu’il y a une volonté de la part de la 33 : 49 de montrer que cette expression « état de détresse » ne peut être remise en cause car il s’agit d’une nécessité de faire rentrer cette phrase dans la Loi, à la place de « état de nécessité » qui est déjà présent dans les textes de Loi. Elle termine en laissant entendre sa volonté, et celle de personnes favorables à ce changement, de passer outre l’avis du Conseil d’Etat. Elle conclut en rappelant que si le CVP n’accepte pas la proposition de Loi, le PSC est le parti qui devrait décider du vote de cette modification car il s’agit selon elle de la formation qui se situe dans le ventre mou de la politique Belge à cet égard.

En guise de conclusion, la Loi sur l’avortement a été depuis le début jusqu’à sa ratification une question spécifique qui a bouleversé le visage politique de la Belgique. Il était donc intéressant de mettre en avant le rôle que France Truffaut a joué durant cet épisode capital pour la femme et la nation Belge dans son ensemble. Il est certain que nous aurions pu mettre en avant d’autres combats menés par France Truffaut durant cette communication mais nous avons dû faire un choix. Ce choix fait malheureusement écho à la mort d’il y a deux jours de l’un de ses acteurs les plus illustres à savoir Monsieur Roger Lallemand.

Le choix de l’Interruption Volontaire de Grossesse reflète une partie des actions qui furent menées par France Truffaut. Les archives conservées par l’Institut Liégeois d’Histoire Sociale permettront de les traiter plus avant et il est certain que dans le cadre de l’exposition et télévente, réalisée par l’Institut Liégeois d’Histoire Sociale sur cette thématique, les autres composantes de ses actions seront certainement explicites.

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